Née en 1921 à Neuilly-sur-Seine, Françoise Gilot célèbre ce vendredi son centième anniversaire dans son appartement et studio new-yorkais de l’Upper West Side. A la retraite depuis deux ans, celle « qui préfère de nos jours les conversations en petit comité aux grandes festivités » soufflera ses bougies « en toute intimité », nous confie sa famille. Le FIAF l’honorera jeudi 2 décembre avec la projection, en présence de ses deux filles, du documentaire Pablo Picasso et Françoise Gilot : la femme qui dit non. Parfois réduite à son statut de compagne d’hommes célèbres, cette artiste moderne « a rapidement tracé sa propre route ». Sa carrière prolifique a commencé dès son plus jeune âge, auprès de sa mère céramiste et aquarelliste. « En lui interdisant d’utiliser une gomme », poursuit sa plus jeune, Aurelia Engel, « elle lui a appris à s’approprier chaque trait, lui répétant qu’il n’y avait pas d’erreur, juste un cheminement. »
Une artiste égale à ses pairs
En 1943, après leur rencontre dans un restaurant parisien, Françoise Gilot devient la muse de Pablo Picasso, de quarante ans son aîné. Elle fréquente les grands artistes de son cercle d’amis (parmi lesquels Henri Matisse, Georges Braque, Jean Cocteau, Paul Eluard et André Malraux) et renonce à ses études de droit pour se consacrer entièrement à la peinture. Deux enfants naissent de leur relation tumultueuse : Claude et Paloma.
Avec le temps, les palettes de couleurs qu’elle utilise se font plus froides et son univers plus domestique. Elle quitte en 1953 un homme colérique et distant. « L’influence de Pablo Picasso sur son travail est souvent évoqué, mais l’inverse est vrai aussi », insiste le marchand d’art Patrick Weathers, qui a « acquis depuis 1972, au fil des années passées à vendre les œuvres de Françoise Gilot, une grande appréciation de son travail ». Mariée ensuite au peintre Luc Simon avec lequel elle aura une fille – Aurélia Engel, aujourd’hui conservatrice de ses archives –, elle réintroduit lyrisme et poésie dans ses tableaux. « Elle peint ses émotions, répétant souvent “ne pas peindre ce qu'[elle] regarde, mais bien ce qui [la] regarde », ajoute sa cadette. Le comportement ludique de ses enfants reste au centre de ses compositions. Pour Patrick Weathers, « elle fait entrer le concept de famille dans les mouvements artistiques d’avant-garde ».
Le monde pour inspiration
Les paysages californiens baignés de soleil deviennent un thème récurrent après sa rencontre avec le biologiste américain Jonas Salk en 1969 (elle l’épouse l’année suivante). Constamment en déplacement entre l’Europe et les Etats-Unis, elle puise aussi son inspiration ailleurs, au détour des multiples pays qu’elle visite. Certaines de ses séries font notamment la part belle aux mythes grecs, aux canaux vénitiens et aux femmes indiennes et sénégalaises. Sur le modèle des kakémonos japonais et des thangkas tibétains, elle produit également plusieurs peintures flottantes sur de grandes toiles de coton.
Ses illustrations, peintures à l’huile, gouaches et lithographies – figuratives ou abstraites – témoignent à la fois d’influences cubiques et fauvistes. Aurélia Engel ajoute : « Quand [Françoise Gilot] évoque sa jeunesse à Paris sous l’occupation allemande, elle rappelle qu'”il ne fallait pas hésiter, car on pouvait mourir le jour même. Il fallait s’exprimer tout de suite” ». Au-delà de « son excellent coup de crayon », Patrick Weathers « admire sa capacité de coloriste ». Il voit dans ses œuvres « une qualité qui manquait à Matisse et à Picasso, dont le travail était volumineux. Le sien est à la fois gracieux et élégant, ce que ni l’un ni l’autre ne semblent avoir réussi à maîtriser. »