Article publié le 26 novembre 2021 sous le titre « L’artiste franco-américaine Françoise Gilot fête ses cent ans » et mis à jour le 06 juin 2023 par Elisabeth Guédel
Françoise Gilot, « l’artiste dans l’ombre de Picasso » titre le New York Times, est décédée ce jeudi 6 juin, à l’hôpital de Manhattan, près de son appartement et studio de l’Upper West Side. Elle avait 101 ans.
En novembre 2021, Marie-Eléonore Noiré avait dressé son portrait à l’occasion du centenaire de la peintre et d’un hommage rendu au FIAF en présence des deux filles de l’artiste franco-américaine. Françoise Gilot, native de Neuilly-sur-Seine, n’était pas venue, préférant « les conversations en petit comité aux grandes festivités », confiait alors sa famille à notre journaliste. Nous vous proposons de relire ce portrait publié en novembre 2021, que nous avons actualisé en apprenant le décès de l’artiste.
Parfois réduite à son statut de compagne d’hommes célèbres, Françoise Gilot « a rapidement tracé sa propre route », explique sa plus jeune fille, Aurelia Engel. Sa carrière prolifique a commencé dès son plus jeune âge, auprès de sa mère céramiste et aquarelliste qui, « en lui interdisant d’utiliser une gomme, lui a appris à s’approprier chaque trait, lui répétant qu’il n’y avait pas d’erreur, juste un cheminement. »
En 1943, après leur rencontre dans un restaurant parisien, Françoise Gilot devient la muse de Pablo Picasso, de quarante ans son aîné. Elle fréquente les grands artistes de son cercle d’amis (parmi lesquels Henri Matisse, Georges Braque, Jean Cocteau, Paul Eluard et André Malraux) et renonce à ses études de droit pour se consacrer entièrement à la peinture. Deux enfants naissent de leur relation tumultueuse : Claude et Paloma.
Avec le temps, les palettes de couleurs qu’elle utilise se font plus froides et son univers plus domestique. Elle quitte en 1953 un homme colérique et distant. « L’influence de Pablo Picasso sur son travail est souvent évoqué, mais l’inverse est vrai aussi », insiste le marchand d’art Patrick Weathers, qui dit avoir acquis, depuis 1972, au fil des années passées à vendre les œuvres de Françoise Gilot, « une grande appréciation de son travail ».
Mariée ensuite au peintre Luc Simon avec lequel elle aura une fille – Aurélia Engel, aujourd’hui conservatrice de ses archives –, elle réintroduit lyrisme et poésie dans ses tableaux. « Elle peint ses émotions, répétant souvent “ne pas peindre ce qu'[elle] regarde, mais bien ce qui [la] regarde », ajoute sa cadette. Le comportement ludique de ses enfants reste au centre de ses compositions. Pour Patrick Weathers, « elle fait entrer le concept de famille dans les mouvements artistiques d’avant-garde ».
Les paysages californiens baignés de soleil deviennent un thème récurrent après sa rencontre avec le biologiste américain Jonas Salk en 1969 (elle l’épouse l’année suivante). Constamment en déplacement entre l’Europe et les Etats-Unis, elle puise aussi son inspiration ailleurs, au détour des multiples pays qu’elle visite. Certaines de ses séries font notamment la part belle aux mythes grecs, aux canaux vénitiens et aux femmes indiennes et sénégalaises. Sur le modèle des kakémonos japonais et des thangkas tibétains, elle produit également plusieurs peintures flottantes sur de grandes toiles de coton.
Ses illustrations, peintures à l’huile, gouaches et lithographies – figuratives ou abstraites – témoignent à la fois d’influences cubiques et fauvistes. Aurélia Engel ajoute : « Quand [Françoise Gilot] évoque sa jeunesse à Paris sous l’occupation allemande, elle rappelle qu'”il ne fallait pas hésiter, car on pouvait mourir le jour même. Il fallait s’exprimer tout de suite” ». Au-delà de « son excellent coup de crayon », Patrick Weathers « admire sa capacité de coloriste ». Il voit dans ses œuvres « une qualité qui manquait à Matisse et à Picasso, dont le travail était volumineux. Le sien est à la fois gracieux et élégant, ce que ni l’un ni l’autre ne semblent avoir réussi à maîtriser. »