Faire des rencontres sur une application sans passer par le fameux swipe pour rejeter ou matcher avec des profils, c’est le pari ambitieux de Feels, l’application de dating française qui fait aujourd’hui son entrée sur le marché américain. Son fondateur, Daniel Cheaib, a pourtant connu ses premiers amours dans la musique : à 16 ans, il monte le label de musique et sort un album d’électro et hiphop avec son groupe. Passionné par l’aspect business autant qu’artistique, il quitte néanmoins l’aventure pour poursuivre ses études. Après un master finance, il travaille six ans en M&A pour rembourser son prêt étudiant, puis décide de lancer son entreprise en 2019.
Il identifie le marché des applications de dating, qu’il a beaucoup utilisées pour rencontrer des gens pendant ses déplacements et voyages à l’étranger. « Je me suis rendu compte à quel point l’expérience était pauvre et consumériste ». Le déclic vient aussi de la naissance de sa fille, à ce moment-là. « J’ai essayé de me projeter en tant que femme dans cette expérience, et auto-jugé. Les applications de rencontres actuelles enferment les utilisateurs dans des normes patriarcales : les hommes ont un comportement d’acheteur et font leur shopping, ils misent sur un pourcentage de réussite tandis que les femmes cherchent une connexion ». Autre constat, ces applications se focalisent sur les photos et l’apparence physique, mais Daniel Cheaib considère qu’elles ne prennent pas en compte le feeling que l’on peut avoir lorsqu’on discute avec quelqu’un, passée la première impression physique.
Le nom est trouvé : Feels, et l’ambition aussi, celle de mettre en avant la publication de contenus. « Au lieu de partir du physique, la façon de rentrer sur Feels est de mettre du contenu et des choses sur soi, de faire rentrer les autres dans son monde pour que la discussion s’engage de façon plus naturelle. » Concrètement, chaque personne ajoute six photos ou vidéos en plein écran, et crée un profil de neuf séquences pour se présenter. Les utilisateurs de l’application ne peuvent pas aimer ou non, mais simplement réagir au contenu et interagir en direct avec la personne. Pour l’entrepreneur, cette phase est essentielle. « Tout se joue à l’onboarding, nous devons proposer un contenu différent pour que l’expérience ne reste pas superficielle. »
Le trio rassemble 120.000 euros et se lance début 2019, dans un secteur déjà très concurrentiel. « Ce marché est compliqué car il y a quelques grands acteurs (Meetic, Tinder, Bumble etc), et plein de nouveaux petits acteurs qui disparaissent au bout de quelques mois ». Les débuts sont difficiles mais la deuxième année, Feels lève 100.000 euros et décide de pivoter vers un public plus jeune. « On s’est rendus compte que les jeunes créent et partagent beaucoup plus de contenu, 80 % de nos utilisateurs sont des 18-22 ans. Notre produit n’était pas adapté à ce public, du coup on a sorti une deuxième version en avril 2021. Tout s’est accéléré d’un seul coup ». Après 50.000 téléchargements à ses débuts, Feels atteint le million d’utilisateurs en moins d’un an.
Depuis ses premiers pas, Daniel Cheaib vise les États-Unis et s’est donné les moyens de ses ambitions. Feels a levé 2,5 millions d’euros en début d’année, notamment auprès de Diaspora, le fonds de venture du français Ilan Abehassera, du fonds Kima Ventures de Xavier Niel mais aussi du footballeur Blaise Matuidi. Mais si la startup s’est positionnée comme l’anti-application de dating en France où le marché a une mauvaise réputation, ce discours est mal perçu aux États-Unis. « Nous avons dû tout désapprendre, et nous imprégner de cette nouvelle génération avec ses codes. Après plusieurs mois de tests, nous avons tout arrêter en janvier pour adapter le produit et republier l’application pour les États Unis. Elle est live depuis début mars. »
Le marché américain du dating est aussi différent car très communautaire, alors que cette approche n’a pas fonctionné en France. Pour son lancement, Feels a donc à cœur de représenter toutes les communautés de façon équitable. L’application mise aussi sur les étudiants, elle sillonne les campus d’universités de la côte Est, où elle recrute des ambassadeurs pour se faire connaître. « Les grandes success stories américaines récentes ont toutes commencé à l’université : Tinder, Bumble, Facebook, Snapchat etc ». Daniel Cheaib est en convaincu, toute la valeur de Feels sera de réussir aux États-Unis. Il a recruté Madeline McKinnon, ancienne responsable des acquisitions digitales de l’app Lover, et pourrait bientôt ouvrir un bureau sur la côte Est, à New York ou Miami.