Cela peut en surprendre plus d’un, mais l’anglais (ni aucune autre langue) n’est la langue officielle des États-Unis. Pourquoi ? C’est la question bête de la semaine.
Nous sommes en 1780. Le futur président John Adams, alors membre du Congrès continental, propose de faire de l’anglais la langue officielle pour bâtir la nation. Sa proposition était loin de faire l’unanimité, car à cette époque, les Américains parlaient une multitude de langues différentes (les langues des colons comme le français, l’espagnol, l’allemand, le néerlandais ou encore le norvégien, mais aussi les langues indigènes).
« En 1664, quand la colonie du New Amsterdam fut acquise par les Britanniques, dix huit langues étaient parlées sur l’île de Manhattan, sans compter les langues des Amérindiens qui s’élevaient à plus de 500 en Amérique du nord à l’époque, explique James Crawford, auteur de plusieurs ouvrages sur les langues. Grâce à leurs écrits, on sait que des leaders comme Thomas Jefferson était fiers de leur capacité à lire dans plusieurs langues et urgeaient leurs compatriotes éduqués à les apprendre aussi. Mais le bilinguisme voire le trilinguisme semblent avoir été fréquents à l’autre bout de l’échelle sociale, parmi les esclaves et les domestiques, blancs et noirs. Les publicités placées dans les journaux de la mi-XVIIIème siècle faisaient référence à la maîtrise de plusieurs langues comme l’allemand, le français, l’espagnol, l’irlandais et le néerlandais. »
Imposer une langue était vu comme antidémocratique et une injure aux libertés individuelles. Selon la linguiste Shirley Brice Heath, le gouvernement considérait la langue était un choix individuel. C’est pourquoi, toujours selon la linguiste, les Founding Fathers ont fait « le choix politique délibéré de ne pas avoir de politique à ce sujet. »
Il ne fait aucun doute que l’anglais est devenu dominant aux États-Unis, mais il est encore aujourd’hui difficile de le rendre officiel, pour les mêmes raisons qu’en 1780. L’American Civil Liberties Union, qui se bat pour les respect des libertés individuelles, argue que cela serait contraire au premier amendement sur la liberté d’expression.
Même si l’anglais n’était pas la langue officielle au niveau fédéral, il n’empêche qu’elle est adoptée comme telle dans 31 États sur les 50. Certains en ont plusieurs, l’État d’Hawaï a choisi l’hawaïen comme deuxième langue officielle, l’Alaska en a une vingtaine, et plusieurs territoires américains ont adopté une deuxième langue officielle : l’espagnol à Porto Rico, le chamorro à Guam et le samoan aux Samoa américaines. Concernant le français, il n’est la langue officielle d’aucun État.
Les débats autour de l’anglais comme langue officielle reviennent régulièrement, particulièrement en raison de l’augmentation de la population hispanophone. Le bureau du recensement estime que l’espagnol est la langue maternelle de 14% de la population américaine. Des mouvements English-only speaking fleurissent un peu partout aux États-Unis et revendiquent tous la même chose : faire de l’anglais l’unique langue officielle. Mais ces débats sont avant tout des outils politiques, car même si plus de 300 langues différentes sont parlées dans les foyers aux États-Unis, 96% des Américains le parlent couramment.
Une première version de cette Question bête a été publiée le 25 mars 2016.