En septembre 1982, Yves Montand se produisait dans l’antre magnifique du Met Opera. C’était la première fois qu’un “chanteur populaire” montait sur la grande scène new-yorkaise. À l’époque, le New York Times s’interrogeait: “Yves Montand peut-il remplir le Metropolitan Opera lui tout seul ? Et peut-il, seul en face d’un grand auditorium, occuper une scène assez large pour accueillir assez d’éléphants pour Aida?“.
Ce passage au Metropolitan Opera fait partie des moments de vie évoqués par l’acteur-chanteur Lambert Wilson dans son spectacle “Wilson chante Montand”. Après plusieurs dates à Montréal, le show arrive le 7 novembre sur les planches du Florence Gould Hall à New York. On est loin du Met Opera, mais pour Lambert Wilson, la symbolique est là. “Le rêve d’Amérique est fondamental dans le parcours de Montand. En venant aux Etats-Unis, il a assumé le désir du père de quitter l’Italie fasciste. L’Amérique, c’était le rêve de tous les possibles“.
Dans ce spectacle entre théâtre et musique, où “Yves Montand n’est pas nommé“, Lambert Wilson chante une trentaine de chansons, connues et moins connues, issues du répertoire de Montand. Il retrace en musique le parcours de ce fils d’immigré devenu légende française. Une histoire de “dépassement de soi par la culture” particulièrement forte “à une époque où l’on parle d’intégration“.
Contrairement à son père, Georges, qui dirigea le Théâtre national de Chaillot, Lambert Wilson n’a pas rencontré Yves Montand. Il avait eu vent de son spectacle au Met lors du tournage du téléfilm “La Caravane” avec la belle-fille de Montand, Catherine Allégret. “Elle m’a parlé de la préparation de cette tournée américaine, sa difficulté d’apprendre les textes… J’ai été frappé par le courage de cet homme qui a fait face au public américain et à cette salle gigantesque. Il fallait que le chant soit très important pour lui pour qu’il prenne un risque aussi énorme“.
Le chant justement rassemble Yves Montand et Lambert Wilson. Ce dernier a joué dans des films musicaux et des comédies musicales, et enregistré plusieurs disques. “J’avais une formation qui me permettait de chanter baryton. J’ai pris le risque fou de faire une tournée de chant classique et cela a envoyé un message perturbant aux milieux du cinéma. Je me suis aussi rendu compte qu’il me manquait les heures de vol d’un chanteur normal qui a fait ses gammes au conservatoire. J’ai donc décidé de garder le champ classique à distance“.
Dès la première de “Wilson chante Montand”, la presse note des ressemblances vocales et physiques entre les deux hommes. “On a le même amour des mots, de la poésie, qu’elle soit chantée ou parlée“, résume l’acteur-chanteur, qui se défend toutefois “d’imiter” Montand sur scène. “En revanche, je me sers de la souplesse du corps comme lui pouvait le faire“.
Autre point commun entre les deux artistes: leurs rapports ambivalents aux Etats-Unis. Objet de fascination pour Yves Montand, le pays lui a longtemps refusé l’entrée en raison de ses sympathies communistes. Jeune, Lambert Wilson voulait devenir “acteur américain” et a même pris des cours de théâtre en Angleterre pour “devenir bilingue” et conquérir Hollywood. Mais après son rôle dans “Matrix”, il a souvent regretté dans des interviews d’être cantonné par Hollywood à des rôles de Français “méchants, pompeux, de classe supérieure“. “Dans ma construction, le rêve américain était fondamental. J’admirais Dustin Hoffman, Paul Newman ou Robert Redford. Je voulais faire partie de tout ça. Mais dès que je m’en suis rapproché à plusieurs reprises, je me suis rendu compte que je n’étais pas en phase avec les sensibilités américaines. J’adore le cinéma américain mais les réalités d’Hollywood ne me conviennent pas du tout. Je suis très mal à Los Angeles. Je n’aime pas les codes de comportement. Je suis assez casanier“, admet-il.
New York sera son dernier show avant de mettre le spectacle en pause. Lambert Wilson l’acteur profitera aussi de son passage dans la Grosse Pomme pour présenter son film “Corporate” le lundi 6 novembre au FIAF. “J’aurais envie de demander à Yves Montand: tu es content de cet hommage ou pas ? J’aurais aimé aussi lui demander si la scène était son lieu de plus grand bonheur“.