Avant de partir pour Los Angeles, Santa Barbara, San Francisco et l’Australie, Ladj Ly était de passage à New York pour promouvoir son film Les Misérables, en course pour participer à la cérémonie des Oscars, qui aura lieu à Los Angeles le 9 février 2020.
« C’est énorme, confie le jeune réalisateur de 39 ans, il faut que le film aille aux Oscars, dans l’intérêt de tous, et qu’il se passe quelque chose. C’est un film qui est important, qui doit être vu ». C’est fait pour le Président de la République Emmanuel Macron, qui s’est dit bouleversé par le film tourné dans la cité des Bosquets de Montfermeil, provoquant au passage polémique et accusations de récupération.
A New York, Ladj Ly a enchaîné les projections, les déjeuners officiels, les conférences et interviews et a animé une classe de cinéma à NYU avec le réalisateur et professeur Spike Lee. Un programme chargé. « Il faut serrer des mains, il faut réseauter, c’est comme ça que ça marche. C’est comme une campagne politique, il faut gagner des voix ».
Dans Les Misérables, prix du jury au Festival de Cannes en mai dernier, le réalisateur dépeint les relations houleuses du quotidien entre les policiers de la BAC (brigade anti-criminalité) et les habitants du quartier des Bosquets à Montfermeil. C’est ce qu’il fait depuis vingt-deux ans derrière sa caméra, son arme pour dénoncer des bavures policières dans la ville dans laquelle il a grandi et dans laquelle il vit toujours aujourd’hui.
Habitué des documentaires et des courts métrages, Ladj Ly change de format et de temporalité avec Les Misérables. Après 365 jours à Clichy-Montfermeil sur les émeutes de 2005, le réalisateur nous fait vivre vingt-quatre heures dans la vie de la cité : inspirés de faits réels, le vol d’un lionceau dans un cirque et une bavure policière filmée par un drone vont mettre le feu aux poudres. La caméra suit un trio de policiers dans leur quotidien d’hommes et de flics, dont Stéphane (Damien Bonnard), dernier arrivé dans l’équipe. Ladj Ly n’a pas voulu prendre parti et faire un film à charge contre la police, et a tenu à éviter les clichés, le rap et les vendeurs de drogues.
Les “microbes”, surnom donnés par les policiers du film aux jeunes du quartier, préoccupent le réalisateur : « Ils sont de plus en plus violents, on a créé des monstres, on a laissé les jeunes livrés à eux même ». C’est aussi pour cette jeune génération qu’il a porté son film, « cette génération qui a envie de faire des films, ces jeunes qui pensent que c’est un milieu inaccessible, je leur montre que c’est possible. Personne n’y croyait, les financiers ne voulaient pas nous suivre, et on est là aujourd’hui ». En 2018, il a créé l’école Kourtrajmé à Montfermeil, qui propose une formation gratuite aux métiers du cinéma.
Le Montfermeillois est fier de représenter la France aux Etats-Unis. « C’est un signal fort, je suis quand même le premier black français à avoir été sélectionné en compétition à Cannes, à être dans la course aux oscars aux US. Je me plaignais du manque de diversité, le fait d’être là montre que c’est possible, ça va donner de l’espoir à plein de gens ».
Le sujet du film, les violences policières, trouve forcément un écho outre-atlantique. « C’est un sujet qui est important aux Etats-Unis ». Confronté au mutisme et à l’indifférence de l’Etat français concernant le sort des banlieues, Ladj Ly espère que la réception du film à l’étranger pourra changer les choses. « Un regard extérieur, étranger sur le film, ça fait du bien. En France, il y a un mépris totale pour les banlieues. Tout le monde s’en fout. Les hommes politiques français ont un voile devant les yeux. Ils vont finir par s’en rendre compte».
Le jeune réalisateur français confie être bien reçu aux Etats-Unis et à New York, une ville dans laquelle il aime passer du temps. L’histoire entre New York et Montfermeil ne date d’ailleurs pas d’hier. En 2014, 42 danseurs de la New York City Ballet avaient fait le voyage pour danser le ballet Les Bosquets devant les barres d’immeuble défraichis d’Ile-de-France. Le ballet, créé par la compagnie et l’artiste JR, avec qui le réalisateur a grandi à Montfermeil, est inspiré des émeutes de 2005 et de l’histoire de Ladj Ly. Il a donné naissance à un court-métrage du même nom. « Les banlieues françaises fascinent à l’étranger, constate Ladj Ly. On a une certaine image de la France, des images des Champs, la Tour Eiffel, mais les gens se rendent pas compte qu’en France il y a des ghettos. Quand ils voient le film, ils sont sous le choc. »
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