Alfred Stieglitz, Edward Steichen, et Paul Strand, trois géants de la photographie du début du XXe siècle, sont réunis au sein d’une même exposition au MET. Trois Américains aux parcours artistiques entrecroisés, dont les travaux pourtant différents se révèlent tous révolutionnaires à leur manière. Pas moins de 115 photographies, toutes prises entre 1900 à 1920 et issues de la collection du musée, y sont présentées. Des trésors, dans lesquels on retrouve certaines des photographies les plus remarquables du siècle dernier, avec notamment les fameux portraits de Georgia O’Keeffe réalisés par Stieglitz, le Flatiron par Steichen et les clichés abstraits de Strand.
L’exposition se divise en trois galeries, chacune consacrée à un photographe. On commence la visite par l’artiste au centre de cette rétrospective, Alfred Stieglitz (1864-1946). Avec « 291 », sa galerie de la Cinquième Avenue, et son journal Camera Work, il s’est affirmé comme une des figures les plus influentes de la photographie et de l’art moderne de son époque. Généreux donateur, il a lui-même légué la plupart de ses photographies au MET, ainsi que des centaines de clichés d’artistes de son époque, dont Steichen et Strand. Parmi les oeuvres exposées, on notera ses photos de New York, Equivalents, ses études des nuages réalisées dans les années 20, et surtout les clichés intimistes (visage, mais aussi mains ou pieds) de sa femme, Georgia O’Keeffe, extraits des quelques 330 images d’elle prises entre 1917 et 1937.
Vient ensuite le petit protégé de Stieglitz, Edward Steichen (1879-1973). Surtout renommé pour ses photos de mode et ses portraits de célébrités, il était considéré en son temps comme le plus talentueux de la Photo-Sécession, ce groupe de photographes que Stieglitz exposa et publia de 1902 à 1917. Ses membres, en essayant notamment de transmettre dans leurs clichés les effets du dessin, de la gravure ou de la peinture, s’étaient donné pour mission de faire reconnaître la photographie comme un moyen d’expression artistique et surtout comme un art à part entière. Avec The Flatiron (1904), trois larges impressions du fameux immeuble new-yorkais, Steichen tente bien lui aussi de prouver le potentiel artistique de la photographie, et il y parvient. À partir d’un seul négatif, il crée trois photos à la luminosité différente, progression chromatique qui donne l’impression du crépuscule. Remarquable aussi, les clichés de la sculpture d’Honoré de Balzac par Rodin, que le clair de lune transforme en fantôme monumental. Si vous avez la chance de passer par le musée entre le 25 et le 30 Janvier, vous pourrez admirer les autochromes de Stieglitz et Steichen, qui à cause de leur sensibilité à la lumière ne pourront être exposés dans leur version originale qu’à ce moment là.
Contemporain mais plus jeune que les deux artistes précédents, Paul Strand (1890-1976) représente quant à lui une nouvelle génération. Influencé par l’avant-garde européenne, il prend ses distances avec la Photo-Sécession pour finalement s’affirmer comme un pionnier de l’abstraction. Après s’être surtout consacré aux portraits de rues et aux mouvements de la ville, il commence à s’essayer à la photographie de près en 1916. De ces expérimentations vont naitre un nouveau langage, celui de l’abstraction géométrique. Parmi ses clichés, tous d’une modernité sans précédent, se trouve notamment Abstraction, Twin Lakes, Connecticut, une des premières photographies abstraites réalisées intentionnellement. Stieglitz, qui avait vu dans le travail de Strand une nouvelle approche de la photographie, tenu à l’exposer dans sa galerie et lui consacra même le dernier numéro de Camera Work en 1917.
Véritable agent artistique qui a lancé les carrières de nombre de ses contemporains, Stieglitz domine en filigrane cette rétrospective. Finalement, Steichen et Strand marquent respectivement le commencement et la fin de l’influence de Stieglitz dans le monde de l’art, influence qui a indéniablement modelé le visage de la photographie au XXe siècle.
« Stieglitz, Steichen, Strand »
MET, Galleries for Drawings, Prints and Photographs (2e étage), 1000 Fifth Avenue, New York, NY 10028
Jusqu’au dimanche 10 Avril 2011.
En complément de cette exposition, vous pourrez en découvrir une autre, intitulée « Our Future Is In The Air : Photographs from the 1910s », qui à travers 53 photos de 30 artistes différents, explore la naissance de l’époque moderne par le biais de la photographie.
photo : Stieglitz – Looking Northwest from the Shelton (1932)
0 Responses