Le local ne ressemble pas -encore- au rêve de Cyril Dewavrin. Les tags peints sur la vitrine du temps où la boutique était vacante sont toujours là, étagères et tables sont encore provisoires. Mais l’essentiel y est : les livres. Pour l’heure, la librairie La Joie de Vivre, installée au 147 West 27th street (Chelsea) est en mode pop-up; elle ouvrira « pour de vrai », dans des locaux rénovés et avec son café, en février prochain « si tout va bien ».
Mais avec ce dispositif provisoire, qui permet déjà aux amateurs de livres en français de venir, par exemple, faire leurs courses de Noël, Cyril Dewavrin respire : « enfin je travaille, je fais mon métier de libraire ». Car jusqu’à maintenant, il a surtout découvert les vicissitudes de la création d’une boutique à Manhattan. Retard de calendrier -il devait ouvrir le 15 juillet dernier-, dépassement de budget, changement d’architectes… « Je savais que ce serait compliqué, mais peut-être pas autant… »
Maintenant que les travaux sont bien lancés, ce passionné de livres de 41 ans touche du doigt son rêve d’ouvrir une librairie française à New York. Nouveau venu dans la Big Apple, il a en revanche une solide expérience dans le livre. À Paris d’abord, où il avait ouvert L’éternel retour, dans le XVIIIe arrondissement, libraire depuis reprise par les deux salariés. Puis à Avignon avec La Comédie Humaine, devenue la plus grande librairie indépendante de la ville. Il en est toujours propriétaire mais a confié les rênes à une gérante pour pouvoir prendre son envol pour New York où il s’est installé il y a quelques mois.
Le pari est évidemment osé. Si les librairies indépendantes connaissent une renaissance inattendue ces dernières années aux États-Unis avec des centaines d’ouvertures à travers le pays, le modèle économique reste précaire, plus encore lorsqu’il s’agit d’une librairie française. Mais Cyril Dewavrin a un plan : à La Joie de Vivre, les ventes de livre ne représenteront que 20 à 30% du chiffre d’affaires. « C’est impossible à New York d’amortir les frais en ne vendant que des livres ». Le café qui sera installé au cœur de la boutique est donc essentiel. « Sur cette partie, on est à 25% de bénéfices, ce qui ferait rêver n’importe quel libraire ». Outre le café et les pâtisseries et viennoiseries, la boutique vendra aussi des jeux vintage, des affiches et bien d’autres produits « annexes ». « En France c’est encore souvent mal vu dans une librairie, mais ici ça ne choque personne. Et cela va contribuer à l’ambiance conviviale que je veux donner au lieu ».
Autre élément majeur de l’équilibre économique du projet, et pas des moindres : le libraire est devenu propriétaire des murs de la boutique. « C’était indispensable pour la pérennité du projet ». Une opération rendue possible par emprunt et apport personnel -grâce à la revente d’une partie de ses parts dans la société familiale, l’important grossiste alimentaire français Pomona. Le choix du quartier, Chelsea, sur la 27e rue, entre les 6e et 7e avenues, n’a pas été fait par hasard. « Le quartier est en train de monter, NoMad, très à la mode, gagne du terrain vers le nord. Et depuis que j’ai ouvert le pop-up j’ai découvert que les habitants du quartier comptent beaucoup d’intellectuels, qui sont ravis de nous voir arriver ici ».
Une fois le café-librairie ouvert pour de bon, il comptera quelque 12 à 13.000 livres (le pop-up en offre déjà 3500). Qu’on pourra feuilleter aux tables du café ou sur le grand Chesterfield rouge installé au centre et qui, avec les lustres et miroirs, va contribuer à installer l’esthétique Belle Époque. « Je veux que ce soit un endroit où on se sente bien, on vienne acheter des livres, mais aussi rencontrer des auteurs, participer à un book club… ». Et un endroit pas seulement réservé aux Francophones. Un nombre important d’ouvrages vendus seront des traductions en anglais d’auteurs francophones. « On réussira si la librairie devient un lieu de mélange des cultures ! »
Librairie La Joie de Vivre, 147 West 27th Street (entre les 6e et 7e avenues). Popup ouvert tous les jours de 10am à 8 pm jusqu’à fin décembre.