Elles se sont vendues comme des petits pains aux Jeux Olympiques. Elles sont au Louvre, dans plusieurs autres lieux touristiques et, depuis peu, dans les rayons de Carrefour. Elles vont bientôt arriver aux États-Unis. Les boîtes rectangulaires en carton de La French Baguette, qui renferment un kit pour fabriquer sa baguette chez soi, ont séduit le jury des Germinators (dont French Morning a fait partie), le 24 juin dernier. Un « rêve éveillé » confesse Eva Broussou, la fondatrice de la start-up qui a reçu le premier prix de ce concours de l’innovation dans le domaine de l’alimentation, des boissons et de l’hôtellerie organisé par la Chambre de commerce franco-américaine de New York (FACC NY), une récompense qui l’aidera à traverser l’Atlantique.
Avant d’en arriver là, la quadra a connu les difficultés de l’entrepreneuriat. « J’ai failli déposer le bilan trois fois », confesse-t-elle, malgré une idée prometteuse. « Au départ, je voulais offrir des souvenirs à des copains qui vivaient à l’étranger. Mais quand j’ai voulu acheter un souvenir français, je me suis aperçue que 80% d’entre-eux étaient fabriqués en Chine. Donc je me suis dit “pourquoi ne pas faire des souvenirs qui représentent un peu plus les valeurs du pays que l’on visite et fabriqués sur place” ? »
Car la vie d’expatriée, elle connaît. Eva Broussou a vécu dix ans en Tunisie où elle a monté Endemol Maghreb, et a beaucoup voyagé en 20 ans de carrière dans la production audiovisuelle. Mais avoir une idée pour se lancer dans l’entrepreneuriat ne suffit pas. « Je n’avais pas beaucoup d’argent, je cherchais un produit qui passait facilement les douanes et qui ne demandait pas beaucoup de transformation pour limiter les coûts. » Après avoir fait le tour des symboles de la France – du camembert au béret – , elle choisit la baguette, jamais conçue comme un souvenir à ramener de voyage et à cuire à la maison. « Du coup j’ai passé un CAP cuisine à l’issue duquel j’ai lancé mon projet, en 2019 ».
Elle travaille en Normandie, à Arras, avec un meunier, et après « beaucoup de loupés » comme elle dit, ils mettent au point une recette avec un bon levain et un processus simple, applicable partout. « Il a fallu par exemple trouver la bonne dose d’eau que le consommateur doit ajouter. Or les unités de mesure changent d’un pays à l’autre. » Un an de développement pour simplifier au maximum le process tout en gardant le bon goût de la baguette sortie du four. Le kit est enfin complet : il comprend les ingrédients pour la pâte, un mode d’emploi avec un tutoriel à scanner; et même une corbeille à pain imprimée Vichy. Un produit qui peut se garder une année.
En très peu de temps, l’entrepreneure a réussi à avoir de gros points de vente, en proposant un packaging personnalisé comme un dessin de la Joconde, une baguette sous le bras, pour la boutique souvenirs du Louvre. « À Arras, près de la meunerie, on a un imprimeur pour les boîtes ». L’assemblage des différents ingrédients est réalisé dans l’ESAT de L’Arrageois, le centre local d’insertion pour personnes handicapées. « L’éthique et l’éco-responsabilité sont très importantes pour moi. Tout est recyclable. »
Un démarrage prometteur jusqu’au coup d’arrêt de la pandémie de covid. « Là, c’était la galère. Tout s’est arrêté d’un coup, c’était la catastrophe pour moi. Mais ça a été aussi le début avec les États-Unis ». Les boîtes, vendues sur Amazon, sont alors repérées du côté américain. Sans pouvoir répondre à la demande en pleine crise sanitaire, Eva Broussou réalise que son produit dépasse le secteur du souvenir. Elle revoit son business model et bascule sur le marché du Do It Yourself (DIY).
La crise est passée. Son passage à l’émission « QVME » sur M6, sur le principe de « Shark Tank » aux États-Unis, lui donne une visibilité inespérée. Les commandes arrivent du monde entier. Aujourd’hui La French Baguette travaille avec des meuniers capables de produire en grande quantité – ils fournissent notamment les boulangeries Paul. La start-up emploie cinq personnes et fait travailler, prestataires compris, une trentaine de personnes. La French Baguette compte frôler les 8 millions d’euros de chiffre d’affaires à la fin de l’année.
Le développement à l’international commence en Europe, notamment en Angleterre, Italie et l’Allemagne. Les États-Unis constituent la prochaine étape. Depuis un an, Eva Broussou s’est associée à un Américain francophile, Michael Cerruti, qui vit en France depuis longtemps. « Ça fait deux ans que je veux venir aux États-Unis, on y a une forte demande, et personnellement, j’ai très envie de m’y installer, une véritable obsession », raconte la jeune femme dans un éclat de rire.
L’objectif à terme est de produire sur le sol américain pour alimenter de gros points de vente « en limitant notre empreinte carbone ». Pas question de faire venir de France des conteneurs bourrés de boîtes. « Aujourd’hui, le plus gros export en France, c’est le pain congelé. C’est totalement aberrant de faire naviguer des containers réfrigérés. Je veux créer une alternative ».
Les premiers kits débarqueront à New York, sur les étagères du restaurant-boutique OCabanon d’Armel Joly (également membre du jury cette année), et chez l’Ami Pierre. « Je veux faire étape pour étape, avec des ateliers pour avoir des retours clients. Germinators, en étant un incubateur et un accélérateur, va me permettre de prendre contact avec les bonnes personnes. Ce concours est arrivé pile au bon moment pour nous. On est prêts, tout est carré. »