Dans la famille Blachez, je demande Pascale, la mère, passionnée de piano. Les enfants : Marcel à la trompette, Ivanhoé au saxophone, Horace à la guitare et aux percussions et Isis au violon et au micro. Et puis le papa, Ludovic, qui s’est mis à la contrebasse pour rejoindre la joyeuse bande…
Installé à New York, ce petit orchestre étalé sur deux générations est à l’origine d’un beau projet social et musical : la Happiness Factory. Depuis quelques années, ils invitent tous les jeunes musiciens, quel que soit leur niveau, à les rejoindre pour participer à des concerts informels dans des maisons de retraite et des centres pour seniors de la Grosse Pomme.
Avis aux mélomanes en herbe, les inscriptions pour les prochains événements (dimanche 20, samedi 26, dimanche 27 avril et dimanche 4 mai) sont ouvertes. « Elton John a dit : ‘La musique a un pouvoir de guérison, la capacité de nous faire sortir de nous-mêmes l’espace d’un instant’. Je trouve que cela résume bien ce que nous voulons faire », explique Pascale Blachez.
Tout a commencé par une « frustration ». Enfant, la Française voulait être pianiste, mais ses parents ne l’ont pas laissée – « et ils ont eu raison ! ». Bonne en mathématiques, elle devient chimiste et fait carrière dans la pharma. Mais après la naissance de son troisième enfant, elle s’arrête de travailler et décide de renouer avec ses premières amours. Formée à la musique classique et sa rigueur, elle choisit de se plonger dans l’univers du jazz et de l’improvisation. « J’avais toujours été titillée par le spectacle de ces jazzmen jouant sans partition. Je me demandais : quel est leur langage ? Pourquoi ne connais-je pas cette musique ? » Quand elle démarre l’ARPEJ, une école parisienne spécialisée dans ce style musical, elle découvre « un autre monde, libéré de toutes les contraintes et de la technique ».
Lors d’une première expatriation à New York en 2010, elle rejoint un groupe de jazz qui se réunit chaque mercredi chez elle. Pour le reste de la famille, c’est la contagion. Chacun se met progressivement à un instrument. « Mes enfants avaient entre 4 et 10 ans. Nous jouions de petits morceaux pour les copains, la famille…». Mais la Française ambitieuse veut aller plus loin. Elle songe à son grand-père, une inspiration forte dans sa vie qui l’a poussée à faire du piano. « Quand je lui rendais visite en EPHAD, je me disais que cela serait merveilleux de jouer en maison de retraite ».
Lorsque les Blachez emménagent, par le plus grand hasard, devant un tel établissement à leur retour à Paris en 2016, elle y voit « un signe du destin ». Deux ans plus tard, le mercredi 17 décembre, ils y font leur premier concert. « On nous a demandé de jouer deux heures, se souvient-elle. Les résidents ont été extrêmement touchés de voir des enfants se produire pour eux, de surcroît en famille. Pour eux, c’était une manière de revivre les liens avec leur propre famille … ». L’initiative fait boule-de-neige. Les Blachez sont rejoints par une ribambelle de jeunes musiciens amateurs. Leur collectif, baptisé « Pour nos aînés », se produit dans une quarantaine de lieux à Paris et se constitue, via le bouche-à-oreille, un réseau de deux cents mélomanes.
De retour à New York en 2022, Pascale Blachez décide de poursuivre l’aventure sous le nom de Happiness Factory. Avec la participation initiale des élèves du Lycée français de New York, le projet prend rapidement de l’ampleur, avec trente concerts en 2023 et cent en 2024 dans les senior centers et autres structures pour personnes âgées. En mars 2024, elle en a fait une association à but non-lucratif pour accélérer son développement et lever des fonds. « Aux États-Unis, quand on contacte des lieux et qu’on dit ‘on est une famille, un groupe d’enfants, on veut venir jouer’, ça ne marche pas. Avoir une non-profit donne de la crédibilité, dit-elle. Mon rêve, c’est qu’il y ait des Happiness Factories dans toutes les villes, voire les quartiers, afin de mettre en relation écoles, familles et maisons de retraite locales. C’est tout à fait possible car il y a des enfants qui font de la musique partout, et des structures pour seniors aussi ».
Et ce n’est pas le besoin qui manque. En France comme aux États-Unis, l’isolement des personnes âgées est une réalité. « Nous vivons dans une société où l’on ne veut pas les voir car la vieillesse est considérée comme dégradante. En réalité, ces personnes ont beaucoup de choses à partager avec les jeunes et ne demandent que ça ». Pendant les concerts, les seniors américains ne se privent pas. « Quelles que soient leurs aptitudes physiques, ils se mettent à danser, bouger, applaudir… Parfois, ils vont au micro pour chanter !, raconte Pascale Blachez. Certains se mettent à pleurer. Ils disent aux enfants : ‘c’était tellement beau, tu ne peux pas savoir le bien que ça m’a fait’ ».
Le site de la Happiness Factory