Il aura fallu quatre ans à Kenizé Mourad pour venir à bout de son dernier livre, Dans la ville d’or et d’argent. Ce dernier sort en anglais sous le titre de “In the City of Gold and Silver”.
Fille de princesse et ancienne journaliste, notamment pour Le Nouvel Observateur, Kenizé Mourad s’est prise de passion pour le Moyen-Orient. Après des années comme correspondante de guerre, elle décide de raconter l’Orient dans des livres. Son premier, De la part de la princesse morte, paraît en 1987. Deux autres ouvrages suivront, l’un romanesque, l’autre journalistique, avant la naissance de Dans la ville d’or et d’argent, en 2010.
Dans ce dernier, elle retrace l’histoire de la charismatique Hazrat Mahal. Nous sommes en 1856, et l’Inde est presque entièrement sous domination britannique, y compris la région d’Awadh. Alors que le leader local est contraint à l’exil, Hazrat Mahal, l’une de ses femmes, va prendre la tête de la rébellion contre l’oppresseur.
Ce livre, Kenizé Mourad l’a voulu avant tout “historique“. “Je n’écris pas pour raconter l’histoire d’une belle reine“, dit-elle. Mis à part une belle histoire d’amour entre deux des protagonistes, tous les faits sont issus d’un long travail de recherche. De Londres à New Delhi en passant par Oxford, Cambridge puis Lucknow, en Inde, l’auteure a parcouru les bibliothèques, puis a interrogé les familles aristocratiques du nord de l’Inde, à la recherche d’un “point de vue différent de celui de l’Occident“.
Dans la ville d’or et d’argent se veut aussi d’une étonnante contemporanéité. A travers cette histoire d’un autre siècle, Kenizé Mourad dresse une réflexion sur la religion et le communautarisme. A Lucknow, “il y avait et il y a toujours cette coexistence entre la communauté hindoue et la communauté musulmane, ce qui donne une culture extraordinaire, explique-t-elle, il y a une véritable ouverture d’esprit“.
Pour l’auteure, “ce n’est pas une fatalité que deux communautés s’affrontent“. Ce serait selon elle surtout le résultat d’un processus d’instrumentalisation: pour déclencher une guerre, “il faut diviser pour régner“.
Le combat contre les clichés de Kenizé Mourad se poursuit aussi au fil du livre à travers le statut de femme musulmane de Hazrat Mahal. “Elle était tout à fait respectée par les hommes“, confie l’auteure. Cette dernière s’insurge contre ceux qui déforment le Coran, affirmant que dans ce texte religieux, “il n’est pas dit que les femmes doivent rester chez elles, se couvrir le visage, et même les cheveux“. Elle regrette que l’Islam, qui fut un temps “un instrument de libération pour les femmes“, se soit mué pour certains “en un instrument d’oppression“.
La protagoniste, “une femme d’une force extraordinaire“, était donc l’exemple parfait pour montrer que “les femmes musulmanes ne sont pas soumises“. L’idéal pour une auteure qui n’écrit “pas seulement avec ma tête, mais avec ma tête et mes entrailles“.