Andrew Bolton se souvient très bien des propos de Karl Lagerfeld la première fois qu’il l’a rencontré : « Il m’a dit que la mode n’avait pas sa place au musée. Il n’a jamais changé d’avis mais il n’a jamais refusé non plus nos demandes d’inclure son travail dans nos expositions ! ». Le curateur du Costume Institute a raconté l’anecdote au vernissage de l’exposition « Karl Lagerfeld: a line of beauty » lundi matin, quelques heures avant le Met Gala dont le dress code était « en l’honneur de Karl ».
Carla Bruni était présente pour rendre hommage à son ami. « Elle ne va pas chanter ce matin mais parler », a prévenu Max Hollein, le directeur du Met, avant de lui donner la parole. « Malgré son immense talent, son charisme et sa force créative, son énergie qu’il diffusait et qui l’animait, son charme, son élégance et son sens de l’humour qui est si bien représenté dans l’exposition, c’est de sa gentillesse dont je me souviens le plus. J’en suis vraiment désolé Karl », a-t-elle souligné.
Le Met espère reproduire l’immense succès de l’exposition sur Alexander McQueen, en 2011, et de celle intitulée « Heavenly Bodies: Fashion and the Catholic Imagination » déjà concoctée à l’époque par Andrew Bolton, et qui avaient attiré les foules. Plus de 200 créations de Lagerfeld sont exposées retraçant 65 ans de carrière, de 1954 lorsqu’il a remporté le Woolmark Prize jusqu’à sa mort en février 2019. On trouve notamment un manteau dessiné pour la maison Patou (automne/hiver 1958), ainsi qu’une vingtaine de créations pour Chloé (il y a travaillé pendant 20 ans avant de rejoindre Chanel puis il y est retourné entre 1992 et 1997), et puis évidemment ses nombreuses créations Chanel où il est entré en 1983 ainsi que pour Fendi (une collaboration qui a duré 54 ans).
On trouve aussi dans l’exposition des vêtements de sa propre marque Karl Lagerfeld qu’il a lancée dans les années 1980 et même de sa collaboration avec H&M en 2004. C’était la première fois que la chaîne suédoise collaborait avec un grand créateur, marquant un tournant dans l’histoire de la mode. L’exposition est ponctuée de vidéos de Loïc Prigent, le journaliste français (sur TMC notamment) qui a documenté son travail pendant des années.
Andrew Bolton a choisi de présenter les œuvres par thématiques, plutôt qu’une rétrospective. Le format est probablement plus adapté pour le créateur prolifique qui ne regardait jamais en arrière : il s’intéressait au présent et au futur. Il s’est aussi concentré sur son vocabulaire artistique et sa méthodologie plutôt que sur sa personnalité, même si la fin de l’exposition aborde le personnage qu’il a créé, à travers ses accessoires légendaires comme les gants, la façon dont il se représentait (notamment les « Karlisms », sortes d’aphorismes à l’humour décapant).
Comme le PDG de la marque Karl Lagerfeld, Pier Paolo Righi, me l’a dit dans une interview pour Vogue Business : « Le personnage que Karl a créé, avec tout ce qu’il représente, a un héritage artistique infini, tout comme un personnage de Disney ». Le dirigeant a ajouté que Karl Lagerfeld lui-même se voyait comme un personnage de Disney. « Il a toujours voulu être cartoonist quand il était enfant. »
Les thèmes choisis mettent en lumière la dualité du travail du créateur comme « Ligne romantique, ligne militaire ». Les deux coexistent dans son travail : la robe à crinoline digne d’une héroïne du XVIIIe siècle et l’uniforme de gendarme (en 1983 il a participé avec les sœurs Fendi au concours organisé par la police romaine pour réinventer les uniformes).
À ne pas manquer non plus son bureau restitué tel qu’il était, c’est-à-dire jonché de livres, journaux, magazines et feutres pour dessiner. « Il s’intéressait à tout sauf à la médiocrité », a dit Carla Bruni. Également à voir, la galerie dédiée à sa collaboration avec les premières d’atelier, celles qui mettaient en 3D ses dessins en 2D. On y rencontre notamment Anita Briey, sa première d’atelier avec qui il a travaillé pendant cinq décennies. À plus de 80 ans, elle a repris du service pour donner un coup de main au studio pour les robes Karl Lagerfeld sur le red carpet, ainsi que pour restaurer certaines pièces exposées.
Lundi soir, chacun a rendu hommage au créateur à sa façon : Simon Porte Jacquemus, le créateur du sud de la France dont c’était le premier Met gala, portait un costume dos nu noir (assorti au rappeur Bad bunny, lui en blanc), Marion Cotillard en Chanel avait une chevelure rose tendance punk, Alexandre Arnault qui vient d’inaugurer la boutique Tiffany & Co. sur la Cinquième avenue et Géraldine Guyot-Arnault portaient des tenues Celine dessinées par Hedi Slimane (Karl Lagerfeld aimait tellement les costumes d’Hedi Slimane pour Dior Homme qu’il avait perdu 40 kg pour rentrer dedans). Jared Leto est venu pour sa part tout simplement en Choupette, le chat adoré de Karl Lagerfeld.
À suivre une biopic coproduit par Jared Leto, avec l’acteur dans le rôle du Karl Lagerfeld. Caroline Lebar et Sébastien Jondeau, deux anciens bras droits (Caroline est svp image et communication de la marque Karl Lagerfeld, Sébastien avait commencé comme son bodyguard) sont coproducteurs exécutifs. « C’est un titre important ! Pour être honnête, on ne sait pas exactement ce que ça veut dire. Pour l’instant, c’est assez simple. On raconte notre vie avec Karl », m’ont-ils confié lors d’un live sur Instagram.
Par Laure Guibault, correspondante de Vogue Business
Karl Lagerfeld: A Line of Beauty, jusqu’au 16 juillet au Metropolitan Museum of Art, 1000 Fifth Avenue, New York. Site de l’exposition.