Le bilinguisme est aussi dans nos assiettes : tel était le message de Karen Le Billon, qui intervenait lors de la conférence « Living with two languages », samedi 13 avril au lycée français de New York. Cette enseignante-chercheuse canadienne de la British Columbia University a passé une année en Bretagne, accompagnée de son mari et de ses deux enfants. Sur place, elle a été frappée par l’éducation des jeunes français vis à vis de l’alimentation : elle en a écrit un livre, paru en 2012 : « French children eat everything ».
French Morning : Vous défendez l’idée que les enfants devraient apprendre à « manger bilingue ». Que signifie cette expression ?
Karen Le Billon : Comme on peut apprendre à parler une autre langue, on peut éduquer ses enfants à manger différemment, à comprendre le rapport qu’entretiennent d’autres cultures à la nourriture. Cela peut passer par des jeux sur le gout, des expériences, des histoires… On peut leur raconter d’où viennent de nouveaux aliments, la façon dont on les prépare, comment on les consomme. Cela leur donnera envie de les gouter !
Qu’est ce que cette éducation peut apporter aux enfants ?
Le fait d’avoir été exposé, comme les jeunes Français, à une vaste diversité de gouts pendant leur petite enfance permet d’apprécier une plus grande variété d’aliments. Et d’éviter les comportements de « picky eater » (enfants très difficiles avec la nourriture). Cela donne aussi une plus grande ouverture sur le monde, plus de flexibilité, un vocabulaire plus riche. Pour les enfants comme pour les adultes, c’est un éveil sensoriel, une manière de développer son intelligence émotionnelle.
Quelles sont les choses qui vous ont étonné dans le rapport qu’entretiennent les jeunes Français à la nourriture ?
Pour les Français, la nourriture est un puissant facteur de socialisation. La prise du repas à table, avec toute la famille, est un moyen pour les enfants d’apprendre à parler avec les adultes, et de se cultiver sur la nourriture. J’ai aussi remarqué qu’en France, les enfants intériorisent très tôt certaines règles, comme l’interdiction du “snacking”. Ils apprécient aussi davantage les légumes, car leur parents leur disent d’en manger pas seulement parce qu’ils sont bons pour leur santé, mais aussi parce qu’ils peuvent être délicieux !
En France, quel rôle joue l’école dans cet apprentissage ?
Certaines initiatives, comme la semaine du gout, permettent aux enfants de découvrir des aliments, d’expérimenter de nouveaux gouts. Mais surtout, la place accordée au déjeuner est radicalement différente de celle qui prévaut ici : mes filles avaient 1h30 ou 2 heures pour déjeuner, et le repas se prenait dans un lieu dédié. A Vancouver, elles disposent de 10 minutes ! J’ai aussi été très surprise par les menus servis dans les cantines, avec leurs quatre plats (entrée, plat, fromage, dessert), ce qui est très peu commun ici. Ces menus sont d’une grande variété, et le même plat ne peut pas être servi plus de deux fois par mois.
Aussi, les enfants doivent manger ce qui leur est proposé, les possibilité de choix sont très limitées. Cela surprend beaucoup les parents américains, qui ne comprennent pas que l’on puisse imposer un menu aux enfants. Il y a cette idée en France que les enfants peuvent aimer n’importe quel type d’aliment s’ils le goutent suffisamment de fois.