« If I can make it here, I’ll make it anywhere », dit la chanson. Pour les entrepreneurs de la tech française, on pourrait renverser l’adage : si tu veux réussir, tu dois réussir ton implantation américaine. Nombreux sont les fondateurs de start-up qui viennent s’installer à New York, destination idéale à mi-chemin entre l’Europe et la côte Ouest. Comment se passe le transfert, et comment gérer des équipes sur deux continents ? Dans cette nouvelle série « Les patrons expats », nous interrogeons des entrepreneurs et entrepreneuses venus conquérir l’Amérique. Cette semaine : Julien Cohen-Solal, cofondateur de Kartable.
Julien Cohen-Solal est le co-fondateur, avec Sarah Besnainou, de Kartable, une startup Edtech qui offre des cours en ligne adaptés aux besoins de chaque enfant. En septembre 2022, il traverse l’Atlantique pour s’installer à New York. Objectif : tester le marché américain et démontrer une traction suffisante pour convaincre les investisseurs. Car, contrairement à de nombreuses autres start-ups, Kartable n’a pas levé de fonds avant d’attaquer le marché américain. Difficile en effet de convaincre les investisseurs quand on est une startup EdTech (à quelques exceptions près, comme Openclassrooms). Kartable, rentable depuis plusieurs années, décide donc de prendre la température américaine en mode ‘bootstrap’, à moindre frais. Julien Cohen-Solal partage les premières leçons de son expérience.
Ce n’est un secret pour personne, conquérir les États-Unis est extrêmement coûteux – mais de combien parle-t-on exactement ? Difficile d’estimer l’investissement nécessaire sans avoir d’abord pris la température du marché.
Pour Kartable, vendre aux États-Unis signifie bien sûr recruter des équipes commerciales avec des salaires compétitifs, mais aussi créer un nouveau contenu pédagogique adapté au curriculum américain. « Notre contenu français est le fruit d’un travail de 10 ans. Même en mathématiques, la façon d’enseigner ici est différente, et il a fallu refaire le contenu en travaillant avec des professeurs américains. C’était important de venir sur place pour mieux comprendre l’enjeu. L’investissement est encore plus important que nous ne l’avions anticipé ».
Autre leçon : l’importance de prioritiser ses efforts. « Le marché EdTech américain est différent du marché français : le bon côté, c’est que nous avons pu assez facilement travailler directement avec des écoles, ce que nous n’avons pas réussi à faire en France en 10 ans ! En contrepartie, là où, en France, le ministère de l’Éducation Nationale rayonne sur tout le territoire, ici chaque État a son propre programme éducatif, et parfois il y a même des spécificités d’un établissement à l’autre au sein d’un même État ». Dans ce contexte, il était important pour Kartable de se fixer des priorités claires : « Nous avons décidé de nous concentrer sur les quelques centaines d’écoles françaises et bilingues car notre contenu était prêt à l’emploi, moyennant quelques adaptations marginales ».
Un an et demi plus tard, Kartable a plusieurs projets pilote en cours avec des écoles. Heureuse surprise, les rendez-vous sont plus faciles à obtenir de ce côté de l’Atlantique : « Nous avons eu beaucoup de mal à conduire nos premiers pilotes en France, même dans le secteur privé. Ici, les écoles ont beaucoup plus l’habitude de contracter avec des prestataires de service. Même les écoles publiques gèrent une partie de leur budget de façon autonome ».
Pour obtenir ces pilotes, il était important d’être surplace : « Quelques allers-retours ne remplacent pas une présence, des rendez-vous en face à face. Les écoles aiment savoir qu’il y a quelqu’un sur place ».
Des partenariats d’un type nouveau pour une entreprise qui est plus habituée dans l’Hexagone aux marchés publics qu’aux partenariats privés, et qui ne travaille en direct qu’avec un tout petit nombre d’écoles privées en France. « Nous découvrons un mode de vente et des mentalités tout à fait différents. Les budgets plus conséquents se traduisent en exigences plus importantes. Chaque pilote vient avec son lot d’adaptations ». Un marché plus ouvert, plus libre donc, mais aussi plus exigeant.
Les projets en cours sont encourageants, avec des taux d’usage au moins comparables à la France. L’enjeu désormais est de convertir ces pilotes gratuits en ventes. Julien Cohen-Solal a besoin de montrer une bonne traction pour pouvoir lever des fonds et s’est fixé comme objectif plusieurs dizaines de milliers d’élèves connectés à Kartable aux États-Unis. Un objectif ambitieux et une belle aventure.