Upper East side compte une boulangerie française de plus depuis quelques jours : Julien Boulangerie vient d’ouvrir sur York Ave., entre les 76e et 77e St. Il s’agit de la troisième adresse en seulement un an pour Julien Khalaf. L’ancien chef pâtissier de François Payard a inauguré son premier magasin à Park Slope, à Brooklyn, fin décembre 2020, et à Manhattan sur Madison Ave., à l’angle de la 96e St., en octobre dernier. Même décor à York que pour les deux autres magasins : devanture noire sobre aux lettres d’or à l’extérieur et clins d’œil tricolores à l’intérieur – du néon « La vie est belle » aux « Bonjour » et tour Eiffel peints au dessus des Palets bretons, Boudoirs et autres biscuits français à vendre sur les étagères. Les notes de « Salle des pas perdus » de Coralie Clément flottent dans l’air et l’odeur de la pâte feuilletée, la spécialité maison, embaume la boutique. Julien Khalaf pose fièrement devant sa boulangerie. La sensation d’avoir accompli un sacré bout de chemin lui donne le sourire.
Sa réussite était loin d’être évidente. Ce natif de Paris a certes grandi la main dans la pâte – ses parents tenaient une pizzeria à Le Blanc, une petite ville de l’Indre – mais très vite, il a rêvé de pétrir celle du pain et des croissants. « Au début, j’étais vraiment orienté vers la cuisine. Mais je m’amusais beaucoup plus en pâtisserie », explique l’artisan-entrepreneur de 31 ans, le regard gourmand, pour justifier son choix professionnel. Après son BEP Bac Pro restauration et une année complémentaire en pâtisserie à Argenton-sur-Creuse, il décide de partir tenter sa chance aux États-Unis avec son meilleur ami, pâtissier comme lui. Ils ne pensent qu’au soleil de Los Angeles. C’était en 2009, en pleine crise financière. Le taux de chômage en Californie avoisinait les 12%. « Pendant un mois, on a fait du porte à porte, on a tapé à tous les restaurants, toutes les pâtisseries, et on n’a rien trouvé. En plus, il nous fallait un visa de travail pour rester. »
C’est donc François Payard qui leur donnera leur chance, à New York. Julien Khalaf restera dix ans avec le chef réputé pour son exigence et son caractère bien trempé – son ami partira au bout de cinq ans, et travaille aujourd’hui avec le chocolatier Thierry Atlan dans le New Jersey. Il deviendra le chef pâtissier exécutif de François Payard Bakery (FPB). « J’ai tout appris avec François, avoue-t-il avec reconnaissance. De la base de la pâtisserie et de la chocolaterie à… tout ». Y compris la pâte feuilletée, devenue sa marque de fabrique.
Julien Khalaf gèrera pendant un an les cinq boulangeries FPB après la vente du groupe et le départ de son fondateur en 2018, puis, à la fermeture des magasins par les actionnaires, discute avec plusieurs chefs dont Dominique Ansel qui allait ouvrir son magasin à Los Angeles. Il décide finalement de se lancer seul avec 50 000$ en poche, un don de ses parents qui venaient de vendre leur maison en France. « Honnêtement, il en aurait fallu trois fois plus pour démarrer. » Sa famille l’aide financièrement, des amis fournisseurs le dépannent en machines. Il achète une cuisine à Long Island City qu’il baptise Le Petit Paris – qu’il utilise toujours. Il vend ses croissants à des hôtels et surtout à des coffee shops comme Bluestone Lane, la Colombe et Coffee Project. Il travaille 7 jours/7 et ça marche, il embauche.
La pandémie stoppe net ses projets. Il doit licencier tout le monde mais refuse de se laisser arrêter par un virus. « J’ai travaillé toute l’année, je faisais la production et les livraisons. Je savais que les concurrents allaient s’arrêter donc j’ai continué. J’ai récupéré beaucoup de clients qui se retrouvaient sans fournisseur. » Il ne dort parfois qu’une heure la nuit, dans sa voiture, avant de retourner pétrir la pâte. Le bouche à oreille fonctionne et ses viennoiseries séduisent. Deux de ses plus gros clients, Per Inglander et Ronny Kaj, les Suédois fondateurs des Coffee shops Konditori, l’encouragent à ouvrir sa propre boulangerie. Les trois hommes s’associent et inaugurent la première Julien Boulangerie sur la 5e Ave. à Park Slope, « un super quartier de Brooklyn », puis la deuxième à Manhattan.
Dans les trois boulangeries, Julien Khalaf propose pains et baguettes, viennoiseries, flans « parisiens », tartes au citron et aux fruits, feuilletés à la pistache (Pistachio Twist), feuilletés à la tomate et au chèvre et autres créations à base de pâte feuilletée. Mais aussi sandwiches, salades et des produits frais tels que des fromages, yaourts, jambon blanc, saucissons secs et magret de canard séché de la marque Bec fin, installée dans le New Jersey.
Quand on lui parle des prix plutôt élevés (4$ le croissant au beurre, le best-seller de Julien Boulangerie, 4,50$ la baguette, 6,50$ le pain au chocolat et aux amandes), il souligne le coût des matières premières. « Je n’utilise que du beurre AOP d’Isigny, qui est très cher. En deux ans, le prix du beurre a doublé : il est aujourd’hui à 132 dollars les 36 pounds (16 kg). Il était à 78 dollars pendant la pandémie et entre 90 à 95 dollars avant la crise. C’est impossible de comparer les prix entre un croissant aux États-Unis et un en France, assure-t-il. Et tout a augmenté : les œufs, le lait… ». Il prépare d’ailleurs une formule déjeuner « saine et à un bon prix » pour les élèves du Lycée Français.
Julien Boulangerie renforce donc les couleurs tricolores dans Upper East Side, voisine désormais de Moulin à Café sur York Ave. – « il y a de la place pour tout le monde », estime, fair-play, le propriétaire Yann N’Diaye – et le café Chez les Frenchies sur la 75e St. Julien Khalaf va même s’étendre dans le quartier avec l’ouverture, en mars prochain, d’une quatrième boulangerie, sur Third Ave, à l’angle de la 72e St. – à l’emplacement d’un ancien T-Mobile. Nouvelle étape pour lui : il y aura un coin bistrot, « 20 à 25 places assises, je suis super content », précise l’entrepreneur-pâtissier, large sourire aux lèvres, avec des envies d’Ouest américain pour plus tard.