Ce sont deux Françaises indépendantes et libres, deux sœurs, qui, en 20 ans de carrière, ont gravi les plus hautes marches du cinéma, des deux côtés de l’Atlantique. À la tête de leur société de production, Wichita Films, les réalisatrices Clara et Julia Kuperberg, l’une blonde, l’autre brune, ont documenté certains des chapitres les plus tabous de l’Âge d’or d’Hollywood, à travers 57 films distribués dans le monde entier. Légendes féminines oubliées, acteurs espions durant la Seconde Guerre Mondiale, mafia, racisme anti-asiatique… Leurs films grand public, tournés en anglais, aux États-Unis – où elles passent la moitié de l’année grâce à leur pied-à-terre de West Hollywood – éclairent le dark side de l’Amérique, en croisant archives et paroles d’historiens.
Après avoir conquis les chaînes françaises, les sœurs Kuperberg sont aujourd’hui primées à Hollywood et distribuées sur les grandes plateformes américaines, grâce à Martine Melloul, leur co-productrice à LA. Leur dernier documentaire, « Mary Pickford, une légende et une malédiction hollywoodienne », récompensé à Palm Springs en mars, concourait au Festival du Film de Beverly Hills, le jeudi 2 mai, à Los Angeles. On peut le voir en VOD sur leur site. Il retrace le destin de l’actrice, productrice et femme d’affaires, qui fût la première grande star de cinéma féminine du début du XXe siècle, aux côtés d’acteurs comme Douglas Fairbanks, son mari, ou Charlie Chaplin. Il s’agit du troisième volet de leur série sur les femmes oubliées d’Hollywood, après celui sur Ida Lupino (2021), Dorothy Arzner (2023), et le succès de « Et la Femme créa Hollywood » à Cannes, en 2016.
« C’était la première fois qu’on révélait que c’étaient les femmes, avec les Juifs, qui avaient créé les fondements d’Hollywood, dans les années 1905-1930, avant d’être effacées de l’Histoire, retrace Julia Kuperberg, en dégustant un smoothie dans le café de Venice où elles nous ont donné rendez-vous, ce 24 avril, accompagnées de leur petite chienne. « Nous les avons découvertes par hasard, poursuit-elle. En 2015, la réalisatrice américaine Ally Acker nous a donné tout son fond d’archives sur elles. Elle avait essayé d’en parler en 1980, mais ça n’avait pas pris. Quand notre film est sorti, en 2015, la société avait changé. On était juste avant Me Too. Cannes l’a sélectionné, et il a eu le succès qu’on connaît. »
Depuis, Clara et Julia Kuperberg se sont donné pour « mission » de faire sortir de l’ombre ces pionnières, un véritable « patrimoine » à transmettre. Des efforts couronnés de succès. « Ces femmes sont maintenant enseignées à l’université, ce qui n’était pas le cas il y a 10 ans, se réjouit Julia. Criterion a sorti des coffrets DVD de leurs films, on parle d’elles, les festivals sélectionnent nos films…» « Nous sommes toujours étonnées de voir à quel point nos projections attirent du monde, renchérit Clara. Quand les gens en ressortent en nous demandant où ils peuvent voir les films muets de Mary Pickford, on se dit : mission accomplie ! »
À la manière de ces héroïnes du cinéma noir et blanc, les Françaises imposent leur style dans l’industrie du septième art. Quand elles lancent Wichita Films, en 2006, elles décident d’endosser « tous les rôles », réalisatrices, monteuses, productrices, pour être totalement indépendantes. Ce business model inédit bouscule les chaînes françaises, mais leur ouvre les portes de l’Amérique, où l’industrie perçoit très vite l’intérêt. « C’est ça qui nous a permis de devenir ce que l’on est aujourd’hui, insiste Julia. Nous sommes un produit des deux cultures : nous avons la capacité d’analyse à la française et nous savons nous marketer à l’américaine. »
Les deux sœurs ont toujours pu imposer leurs sujets, même si, en tant que femmes, elles doivent se battre, à Hollywood, où le système est encore « bien verrouillé », avec encore seulement 22% de réalisatrices. Ce qui les fascine ? Gratter l’envers du décor de l’Amérique. Leurs deux derniers projets abordent des thèmes brûlants : la représentation des Native Americans par le cinéma américain -elles les ont rencontrés dans les dernières réserves où ils vivent- et l’histoire de l’avortement aux États-Unis, un film qui sera diffusé par TF1 en amont de la présidentielle américaine, en novembre.
Si les sœurs Kuperberg se disent volontiers féministes et engagées pour les droits des minorités, hors de question d’entrer dans le mouvement « woke » en cédant à la tentation de réécrire l’Histoire à la lumière des combats d’aujourd’hui. Ce qui les intéresse, au contraire, est de décortiquer la manière dont Hollywood influence la société américaine… Ou l’inverse, en fonction des époques. Elles le clament haut et fort : « Nous sommes des cinéphiles avant tout ! »