Mardi 30 novembre, l’icône Joséphine Baker fera son entrée officielle au Panthéon. Un hommage national pour celle qui vit le jour en 1906 à Saint-Louis, dans le Missouri, conquit New-York et Paris, s’engagea pour défendre l’honneur de la France tout en luttant ardemment contre les discriminations raciales de son époque. Une héroïne française que son fils adoptif Jean-Claude Bouillon-Baker*, l’un des douze enfants de la « tribu arc-en-ciel » fondée par la chanteuse, évoque à travers ses années américaines.
De Philadelphie à Broadway
La carrière de Joséphine commence à Philadelphie. Enrôlée dans une tournée musicale au sein de la troupe itinérante des Dixie Steppers, Joséphine Baker (née Joséphine Freda McDonald) a à peine 14 ans lorsqu’elle fait ses débuts sur scène. Rêvant d’ailleurs, elle quitte Philly pour New-York en 1922, pose ses valises dans le quartier de Harlem, et tente de convaincre les directeurs de Broadway de l’engager. Elle finit par décrocher un premier rôle au Daly’s 63rd Street Theater au sein de la comédie musicale Shuffle along entièrement jouée par des acteurs noirs, avant de rejoindre la troupe des Chocolate Dandies. « C’est l’époque burlesque de Joséphine, raconte Jean-Claude Bouillon Baker. Pas encore icône, elle est d’abord danseuse, fait le clown sur scène et roule des yeux. Une période qui lui permet de bien gagner sa vie et qui la renvoie également à son état de femme noire, victime des discriminations raciales qui touchent les États-Unis, empêchée de circuler librement, refusée dans certains établissements. »
C’est en intégrant le Plantation Club, une autre troupe new-yorkaise, que Joséphine Baker se fait finalement repérer. « Nous sommes en 1925, Paris découvre le jazz et André Daven, directeur artistique du Théâtre des Champs-Elysées, est à la recherche d’un nouveau type de spectacle, poursuit Jean-Claude Bouillon-Baker. Passé par New-York et ayant découvert l’Art Nègre, Fernand Léger lui suggère alors d’imaginer une revue composé exclusivement d’artistes noirs. Caroline Dudley Reagan, l’impresario américaine du Théâtre des Champs-Elysées convainc alors douze musiciens noirs dont Sidney Bechet, et huit choristes dont Joséphine Baker, de venir à Paris et d’intégrer la Revue nègre. Vêtue d’un simple pagne, Joséphine Baker danse le Charleston au rythme des tambours. Le succès est total. Du jour au lendemain, elle devient la sensation. » Les Folies Bergère couronneront l’artiste deux ans plus tard. Ses plumes roses et sa ceinture de bananes faisant d’elle une légende.
L’épisode du Stock Club de New-York ou Joséphine engagée
Starifiée en France où elle fait sensation au Casino de Paris, aux côtés de son guépard Chiquita, et interprète sur scène l’inoubliable « J’ai deux amours », Joséphine Baker retourne aux Etats-Unis en 1935 pour une tournée d’un an. Un succès mitigé, les Américains lui reprochant notamment son trop fort accent français. Naturalisée française en 1937, elle s’engage « pour le pays qui lui a donné sa chance », répète-t-elle, en venant soutenir les soldats français combattants de la seconde guerre mondiale, et devient un agent du contre-espionnage français. Des engagements qui lui vaudront à la Libération, la médaille de la Résistance Française, celle de la Légion d’Honneur et de la croix de guerre 1939-1945.
De retour aux Etats-Unis à la fin des années 40, Joséphine Baker atterrit d’abord à Cuba avant d’être engagée pour un spectacle d’envergure à Miami où son contrat comporte une clause de non-discrimination : l’artiste n’acceptait de se produire que si les spectateurs noirs étaient admis dans la salle où elle se produisait. Suivent d’autres dates, à Chicago, Boston et Los Angeles où l’artiste est acclamée. « L’épisode du Storck Club, un restaurant et club à la mode de Manhattan, marque alors un tournant dans la vie de Joséphine, ajoute son fils adoptif. Joséphine est à son apogée, elle s’est réconciliée avec les Etats-Unis et vient d’être élue la femme la plus élégante par le Time magazine mais se fait humilier par le patron du Storck Club, un certain Sherman Billingsley, raciste notoire qui lui indique ne pas pouvoir lui servir sa salade de crabe. Sous les yeux d’une Grace Kelly, encore starlette, le scandale de Joséphine (ndlr, elle fit constater par la loi le flagrant délit de discrimination) fera la une des journaux pendant des mois. »
Washington et les droits civiques
Engagée dans la défense des droits civiques aux États-Unis, Joséphine Baker sera à l’origine du mouvement d’indignation en Europe qui fait suite au meurtre d’Emmet Till, un adolescent afro-américain tué en raison de sa couleur de peau. Quelques années plus tard, en 1963, elle participe à Washington DC, à la marche pour l’emploi et la liberté initiée par Martin Luther King, un événement où elle sera la seule femme à prendre la parole à la tribune. « Un moment sacré, évoque Jean-Claude Bouillon-Baker, qui dit tout sur la personnalité de Joséphine, dévoile ses combats et son désir de montrer aux Etats-Unis qui elle est et ce qu’elle a fait pour la France. Un jour qui restera comme “le plus beau de sa vie” disait-elle. On dit même qu’elle fut approchée pour reprendre le mouvement lancé par Luther King, une initiative qu’elle refusa en confessant ne pas vouloir voir ses enfants devenir une seconde fois orphelins. »
Au cours des cinq dernières années de sa vie, Joséphine Baker, ruinée, retrouvera New-York en 1968 à l’occasion des obsèques organisées pour Bob Kennedy. « Nous avons immédiatement pris un vol, raconte Jean-Claude Bouillon-Baker. Dans l’avion, Josephine cousait sur nos blazers bleu marine des écussons « France » devant le regard médusé des hôtesses de l’air. » Sa dernière escale américaine aura lieu en 1973. A 67 ans, l’artiste remonte sur scène le 5 juin à New-York, au Carnegie Hall, avant une tournée prévue dans 17 villes des Etats-Unis, et une représentation finale au Bobino, à Paris. Elle décèdera à la fin de sa tournée, victime d’une hémorragie cérébrale.
Sixième femme à recevoir les honneurs du Panthéon, après Simone Veil, Sophie Berthelot, Marie Curie, Geneviève De Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillion, Joséphine Baker sera, mardi 30 novembre, la première femme noire panthéonisée de tous les temps. Une cérémonie qui s’annonce émouvante pour Jean-Claude Bouillon-Baker, et « qui devrait permettre de donner un bel exemple de tolérance en ces temps de clivage extrêmes, et rendre honneur à la beauté de la France. »
*Jean-Claude Bouillon-Baker est l’auteur de l’ouvrage « Un château sur la lune, Joséphine de la scène au Panthéon », réédité aux éditions Hors Collection.