Sept ans plus tard, c’est (enfin) l’épilogue de la saga Theranos pour John Carreyrou. Après plus de trois mois de procès sensationnel, Elizabeth Holmes, la fondatrice de la startup Theranos, a été reconnue coupable, début janvier en Californie, de quatre des onze chefs d’accusation de fraude, et notamment d’avoir escroqué ses partenaires et investisseurs lorsqu’elle a promis que sa technologie parvenait à détecter des milliers de maladies en prélevant seulement quelques gouttes de sang sur un doigt. La sentence finale, incluant une éventuelle peine de prison, sera prononcée dans plusieurs mois.
C’est un sentiment de satisfaction pour l’ancien journaliste du Wall Street Journal. John Carreyrou a été le premier à enquêter sur Theranos, et a réussi à sortir ce scandale envers et contre toutes les pressions. Le Franco-Américain n’est autre que le fils du journaliste français Gérard Carreyrou – ancien de TF1 et d’Europe 1 – mais il n’a, malgré ces racines, pas eu cette vocation depuis le plus jeune âge. Après sa scolarité en France, il part faire ses études à l’université Duke. « Je n’étais pas sûr de vouloir être journaliste, je voulais me laisser toutes les portes ouvertes, explique-t-il. À la fin de mes études, je me suis rendu compte que j’aimais écrire et le livre ‘All the President’s men’ de Bob Woodward, m’a beaucoup inspiré. »
Il travaille pendant plusieurs années à Paris et Bruxelles pour Dow Jones, puis revient à New York et se spécialise dans les sujets médicaux au sein du Wall Street Journal. Au cours de ces années d’investigation, il gagne deux prestigieux Prix Pulitzer, dont le deuxième en 2015 pour l’enquête qu’il dirige sur les abus de Medicare, l’assurance santé pour les seniors.
C’est à ce moment là qu’il se lance sur le sujet Theranos et Elizabeth Holmes. « J’avais lu son portrait dans le New Yorker, qui m’avait rendu perplexe. Comment une jeune femme, qui avait fait 18 mois d’université et n’avait aucune éducation scientifique, pouvait avoir inventé un nouveau test sanguin ? J’ai compris qu’elle devenait une star de la Silicon Valley ». La société est très secrète et ne fait aucune publication, mais le journaliste obtient sa première source : l’ancien directeur du laboratoire, qui est terrifié mais accepte de lui parler sous couvert d’anonymat.
Le journaliste poursuit ses investigations et arrive à démontrer que Theranos surestime largement les capacités de test de ses machines, qui ont été déployées dans des pharmacies Walgreens, et que ses diagnostics sont même inexacts la plupart du temps. Il contacte la société pour exposer ses découvertes, mais Theranos et ses dirigeants contre-attaquent en force. Ils engagent une armada d’avocats et menacent le journal de les attaquer pour divulgation d’informations brevetées si l’article est publié. La pression légale est maximale sur le journal et le journaliste. « Les cinq mois avant la publication de l’article ont été très stressants. J’ai compris qu’ils avaient engagé des détectives privés et je me demandais si j’étais suivi. »
En octobre 2015, l’article du Wall Street Journal sur Theranos sort enfin et il fait l’effet d’une bombe puisqu’il démontre que la start-up, qui compte de grands noms à son board comme les anciens secrétaires d’Etat Henry Kissinger et George Schultz, a commercialisé une technologie défaillante, et qui donne des résultats inexacts. Les autorités fédérales et la SEC, le gendarme boursier américain, ouvrent leur propre enquête sur Theranos et sur les mensonges de sa fondatrice, Elizabeth Holmes. Elles finissent par l’inculper. À la grande surprise du journaliste. « À la sortie de l’article, je n’étais pas du tout sûr que la société finirait par être dissoute grâce à mon enquête. Cette affaire a mis beaucoup de temps à se dénouer ». Il faudra trois ans pour que Theranos soit liquidé. Puis s’engage le procès d’Elizabeth Holmes pour fraude envers ses patients et ses investisseurs, repoussé de plus d’un an à cause de la pandémie, puis en raison de sa grossesse.
Pendant ce temps, John Carreyrou publie le livre « Bad blood » sur cette saga, en 2018, qui devient un véritable best-seller vendu à plus d’un million d’exemplaires. Ce dernier a ensuite suivi de près le procès d’Elizabeth Holmes en fin d’année dernière, et a lancé simultanément le podcast « Bad Blood – the final Chapter », téléchargé à plus de six millions d’exemplaires.
Lors de ce procès retentissant, le journaliste a été marqué, en particulier, par le témoignage d’Elizabeth Holmes. Elle a utilisé la défense dite « de Svengali », expliquant qu’elle avait été la victime de Sunny Balwani, président et COO de Theranos et son ancien compagnon. « Elizabeth Holmes a pleuré, elle était émouvante et crédible. J’ai bien vu que les jurés étaient captivés. Je me suis demandé ce jour-là si elle allait être acquittée. Mais l’accusation a fait un bon contre-interrogatoire et surtout de très bonnes conclusions à la fin du procès ».
Elizabeth Holmes a été, en revanche, acquittée des autres chefs d’accusation de fraude envers ses patients, trop difficile à prouver car la fondatrice de la start-up n’était pas en contact direct avec eux, explique le journaliste. Ce dernier estime qu’Elizabeth Holmes, qui risque 20 ans de prison pour chacun des chef d’accusation dont elle a été reconnue coupable, devrait écoper de cinq ans d’emprisonnement au moins. Sa sentence sera prononcée par le juge en septembre prochain. Pour lui, cette condamnation est, en tout cas, un message important à l’égard de la Silicon Valley, adepte du « fake it until you make it ». « Les entrepreneurs doivent y réfléchir à deux fois avant d’aller trop loin dans les exagérations et les promesses. »
Si John Carreyrou est satisfait de ce verdict, il est surtout prêt à passer à autre chose. « Cette affaire a avalé sept ans de ma vie, même si elle m’a permis d’écrire un best-seller. Je n’ai pas de projet précis, je vais prendre le temps de réfléchir à la suite ». Il avoue avoir envie d’écrire un autre livre. En attendant, il travaille sur un projet encore plus glamour : l’adaptation de son livre « Bad Blood » en film, par le réalisateur Adam McKay (le réalisateur de « Don’t Look Up »), où le rôle d’Elizabeth Holmes, avec sa voix grave et ses cols roulés empruntés à Steve Jobs, sera interprété par Jennifer Lawrence.