“Jerk”. C’est le mot qui revient le plus souvent quand on interroge les habitants d’Austin au sujet de Lance Armstrong.
Le champion déchu n’est pas connu pour être quelqu’un de sympa. Et même ceux qui se présentent comme ses amis et continuent d’admirer en lui « un cycliste d’exception » ne se font aucune illusion sur les raisons qui ont poussé l’ex-septuple vainqueur du Tour de France à avouer s’être dopé dans l’émission d’Oprah Winfrey (qui sera diffusée jeudi soir mais a été enregistrée lundi à Austin, chez le coureur). Pêle-mêle, ils invoquent « la culture chrétienne de la rédemption », « la volonté de mettre les choses au clair pour limiter les conséquences sur sa fondation de lutte contre le cancer », « l’espoir de restaurer son image ». Et surtout « de retrouver la compétition au plus vite ».
Armstrong n’est peut-être plus coureur cycliste. Mais depuis un an, il s’est remis au triathlon et serait très malheureux d’être privé de compétition depuis l’interdiction décidée au mois d’août par l’agence américaine anti-dopage. « Il aime la compétition avant tout, souligne Leslay Denson, une professionnelle de la communication rencontrée à proximité de la piste cyclable Lance Armstrong située dans le centre-ville d’Austin. C’est pour cela qu’il s’est dopé. Il aurait dû dire la vérité depuis le début. Aujourd’hui, il est trop tard pour réparer les dégâts ».
Les menaces judiciaires levées
Le caractère tardif de ces aveux correspond bien au calendrier judiciaire. L’agence Associated Press (AP) a indiqué la semaine dernière que tout délit de mensonge devant un tribunal (perjury) était désormais prescrit. Nul doute que Lance Armstrong a retenu la leçon tirée du cas Marion Jones. Egalement Austinite, l’ancienne sprinteuse a passé six mois derrière les barreaux d’une prison de Fort Worth en 2008. Elle venait de reconnaître s’être dopée après l’avoir nié devant un tribunal.
« Outre le fait que le mensonge soit insupportable dans l’éthique américaine, la différence entre la France et les Etats-Unis, c’est que la justice américaine ne lâche jamais une fois qu’elle a commencé à enquêter sur un sujet, commente Emmanuel Foy, un Français d’Austin VTTiste et amateur de courses cyclistes. Nous n’entretenons pas non plus le même rapport au vélo. Chez nous, le Tour de France fait partie du patrimoine national. Quand Lance Armstrong a commencé à enchaîner les victoires, cela a déclenché des suspicions. Ici, les gens suivaient ça de plus loin. Chaque année, il n’y a qu’une ou deux équipes américaines qui participent à la course.
On le voit avec le baseball, les athlètes sont chargés partout. Mais le cyclisme est le sport le plus contrôlé. Aux Etats-Unis, on évite de lever le voile sur le football américain ou le tennis étant données les sommes en jeu. Chez nous, on veut croire qu’il est possible d’assainir ce sport. Mais 25, 50 ou 75 %, je ne saurais pas dire quelle est la part de coureurs dopés dans le Tour aujourd’hui ».
Pour les Américains, la réponse ne fait pas de doute : 100 % ! « Le corps humain n’est pas fait pour gravir des montagnes à répétition », assène Dante Dominick, cycliste amateur.
The show must go on!
Le feuilleton fait en tout cas le bonheur de cyclistes comme Paul Goldman, qui voit l’affaire Armstrong comme « un drame shakespearien » dont le second acte s’ouvrirait tout juste. Il n’excuse pas l’ancien coureur. Mais il continue d’apprécier le soutien que lui offre la communauté de cyclistes rescapés du cancer constituée autour d’Armstrong et considère comme « son église » la salle de Mellow Johnny’s (nom qui correspond à la prononciation de “maillot jaune” par les anglophones), le magasin de vélos du coureur dans le centre-ville d’Austin, abritant ses sept maillots jaunes. Jeudi soir, il regardera l’émission d’Oprah et attend aussi avec impatience les nouveaux livres et films qui ne manqueront pas de sortir sur Armstrong.
Comme beaucoup d’Austinites, Emmanuel Foy fera par contre l’impasse sur l’interview. « Il va sortir une petite larme, mais on n’a apprendra pas grand-chose. Surtout qu’Armstrong n’est pas un sentimental. Il avait un scénario en tête pour cet entretien et il savait très bien ce qu’il devait révéler ou pas ».