“Chaque photo doit s’expliquer à elle-même. Les miennes n’ont pratiquement pas besoin de légendes.” Jean-Pierre Laffont, tonique pour ses 79 ans, fait les cent pas autour de vous, épelant l’orthographe de tous les noms propres qu’il cite, datant les événements qu’il évoque. “La photo doit reproduire la réalité, être le témoin de son temps. Il n’y a rien de magique, il faut juste le faire bien. Et cadrer proprement.”
Célèbre photojournaliste français, Jean-Pierre Laffont s’est installé à New York en 1965. Depuis, il y vit toujours (dans l’Upper West Side), même si ces dernières années, il a arrêté d’appuyer sur le déclencheur. Baroudeur infatigable, il a travaillé pour les plus grands magazines de son époque : Time, Newsweek, le New York Times, Paris Match, le Figaro Magazine…
En décembre, Jean-Pierre Laffont donnera deux conférences à New York. Sa femme et éditrice, Eliane – elle gérait les bureaux américains des agences francaises Gamma puis Sygma, auxquelles Jean-Pierre Laffont appartenait – vient en effet de publier un livre rassemblant des photos américaines de son mari. Le Paradis d’un photographe, Tumultueuse Amérique, 1960-1990 (Glitterati, 2014), découpé en trois décennies, est le fruit d’un travail de deux ans.
Le mouvement pour les droits civiques, les émeutes à Los Angeles ou Baltimore, le lancement d’Appollo 11, les funérailles de Robert Kennedy ou de Martin Luther King, le départ de Nixon de la Maison Blanche… Les photos de Jean-Pierre Laffont retracent trente ans d’histoire américaine. Les sujets les plus politiques se mêlent aux photos illustrant des phénomènes de société : les femmes s’engageant dans l’armée, le féminisme sur les campus, la construction des tours jumelles…
L’une des photos préférées de Jean-Pierre Laffont représente des dizaines de mains qui émergent des grilles d’une prison : l’une a le poing levé, deux autres prient, les autres sont lâchées, pendantes, comme résignées. « Cette photo en dit beaucoup sur les différentes attitudes que j’ai vues chez les prisonniers », dit Jean-Pierre Laffont, qui a passé beaucoup de temps dans les prisons.
Dans une autre série, des spectateurs sur leur 31 se rendent à l’un des combats de Mohammed Ali. Parmi eux, Frank Lukas, un chef mafieux vêtu d’un manteau en poils de chinchilla, qui fut interprété par la suite par Denzel Washington dans le film American Gangster. A l’époque, Jean-Pierre Laffont n’avait aucune idée de qui il photographiait.
D’autres séries montrent la pauvreté chez les blancs du midwest, comme cette famille misérable de l’Arkansas, attablée autour de leur repas, sous un tableau représentant la cène. « C’est une photo dont je garde un souvenir très ému, car j’ai découvert en entrant chez eux que les parents étaient sourds-muets », se souvient le photographe.
De nombreuses photos montrent New York dans les années 60, une ville que l’on peine à reconnaitre. Une cité en faillite, dangereuse et sale. « C’était la jungle. Dans certains quartiers, comme Stuyvesant Town, personne n’allait. Il y avait des voitures abandonnées sur le bord des trotoirs, et dans le Bronx, les gens jetaient leurs ordures par les fenêtres », se remémore Jean-Pierre Laffont, qui a photographié les rôdeurs des sex-shops de la 42e rue, des gangs de jeunes dans le Bronx, des sans-logis dans le quartier de Wall-Street.
Sur une photo, un homme tombe d’overdose en plein Times Square – une scène « si fréquente qu’elle n’arrêtait guère le traffic ». Difficile à imaginer aujourd’hui.