L’émancipation artistique de la ville de Houston s’est faite à partir de la deuxième moitié du XXe siècle par l’intermédiaire d’un couple de Français, Jean et Dominique de Ménil, héritiers de la compagnie pétrolière Schlumberger. C’est l’histoire que raconte William Middleton dans son premier livre paru il y a un mois et intitulé Double Vision, (Knopf, 27 mars 2018).
Convaincus du pouvoir spirituel et émancipateur de l’art, les Ménil ont eu une influence culturelle énorme aux États-Unis et transformé Houston en la ville artistique que l’on connait aujourd’hui. Arrivés au Texas en 1941, siège américain de la compagnie, ils sont devenus des avides collectionneurs à partir des années 50, pour, au final, accumuler plus de 17 000 œuvres (peintures, sculptures, dessins, photographies…) On leur doit notamment la Menil Collection, la Rothko Chapel, la Byzantine Fresco Chapel, la Cy Twombly Gallery, et ils furent également mécènes du Contemporary Arts Museum.
« C’est une très belle histoire d’amour entre la France et les États-Unis, raconte William Middleton. C’est la rencontre de deux mondes entre l’éducation et la sophistication françaises et les possibilités offertes par les États-Unis dans la deuxième moitié du XXe siècle. »
Cette biographie retrace la vie de ce “power couple”, leur relation amoureuse née à Versailles en 1930 ainsi que leur lien avec Houston : comment ils se sont mis à collectionner des œuvres d’art, leur vie mondaine, leurs relations avec les nombreux artistes (Marlene Dietrich, René Magritte, Andy Warhol, Jasper Johns étaient des réguliers dans leur maison dessinée par l’architecte Philip Johnson) mais aussi leur militantisme politique en faveur des droits civiques . « S’ils s’étaient installés à New York, leur histoire aurait été sûrement bien différente. C’est parce qu’il n’y avait rien ou pas grand-chose à l’époque à Houston, qu’ils ont eu l’envie d’y bâtir quelque chose ; tout en gardant les standards internationaux auxquels ils étaient habitués. L’idée était aussi de rendre ce que la ville leur apportait comme fortune. Selon eux, elle leur donnait la responsabilité de contribuer à faire du monde un endroit meilleur, plus enrichissant. »
William Middleton, journaliste et rédacteur en chef, ayant habité à Paris pendant dix ans et passionné de culture française a choisi ce thème pour son premier livre, « cette histoire a résonné en moi.» Extraordinairement bien documenté, le livre est rempli d’anecdotes révélatrices de leur engagement et de leur mode de vie. L’auteur, qui est allé s’installer à Houston pendant dix ans, a eu accès aux archives familiales : 3500 pages d’interviews, 200 livres, 1000 lettres entre les époux et plus de 10 000 photos. Un travail qui lui a demandé plus de dix ans à temps plein. « C’est rare d’avoir une vie aussi documentée. C’était donc l’opportunité d’écrire quelque chose de très précis. J’ai voulu montrer d’où ils venaient, leur religion, et comment cela a influé sur leurs choix aux Etats Unis. L’aspect historique, des années 30 à Paris en passant par l’exil de France en 1940 fait également partie intégrante du récit. C’est aussi un très bel objet avec 32 pages de photos et illustrations qui donnent accès à l’univers du couple.»