Matthieu Jabaudon passait une année de mobilité “heureuse” en famille à faire de la recherche à l’université Vanderbilt de Nashville quand le Covid-19 a frappé. Cet anesthésiste-réanimateur, qui exerce au CHU de Clermont-Ferrand, décide alors de revoir ses plans. En mars, il répond à un appel à volontaires lancé aux soignants dans tout le pays pour prêter main forte à leurs collègues new-yorkais, dépassés par l’afflux de malades. Quelques jours plus tard, il se retrouve à l’hôpital New York-Presbyterian de l’est de Queens. “Je suis arrivé le vendredi 28 mars à New York. J’ai commencé le mardi d’après. D’habitude, le temps d’attente pour obtenir les autorisations d’exercer est plus long pour les médecins étrangers“, dit-il.
À 41 ans, dont douze dans la “réa”, il fait partie des Français montés au charbon pour soigner les malades du Covid-19, qui a fait plus de 11 000 morts dans la ville de New York (chiffre qui prend en compte les décès présumés du virus). Quand la pandémie a commencé à s’abattre sur l’Europe, il a renvoyé en France ses parents qui étaient de passage aux Etats-Unis et s’est demandé s’il allait, lui aussi, rentrer avec son épouse et ses enfants pour aider ses collègues à Clermont-Ferrand. Mais, titulaire d’un visa J-1, il n’était pas sûr de pouvoir revenir aux Etats-Unis avec la fermeture partielle des frontières décidée par Donald Trump. “En plus, on n’avait pas de logement en France, observe-t-il. Je voulais me rendre utile ici, contribuer à l’effort collectif. Ça m’anime“.
Venu dans la Grosse Pomme une première fois pour passer un Noël en famille, il s’est retrouvé très loin d’une ambiance de carte postale pour ce second séjour. Il loge dans un hôtel de Flushing réservé aux soignants, y compris les new-yorkais qui ne veulent pas rentrer chez eux pour éviter de contaminer leurs proches. Le Queens est, de surcroit, l’un des “boroughs” qui recense le plus de malades et de morts rapportés à la population, selon le Département de Santé de la Ville. Une situation qui s’explique par la présence d’un grand nombre de travailleurs immigrés pauvres et non-assurés, exerçant parfois des “activités essentielles” (livraison, transports…) qui augmente leur risque d’exposition au virus.
Après une journée d’observation “assez intense“, Matthieu Jabaudon est mis en charge d’une unité de réanimation. Même si son hôpital n’est pas en situation de “surcharge” et qu’il ne manque pas de matériel comme celui d’Elmhurst, qui a fait les gros titres fin mars après la diffusion d’une vidéo montrant un personnel soignant débordé, le Français n’a pas le temps de se tourner les pouces. “On voit des familles entières infectées, sans doute en raison de la densité de la population, observe-t-il. La ré-animation peut être quelque chose d’assez inégal en terme de charge de travail. Ici, elle est constante et importante. Des personnes qui, d’habitude, ne prennent pas en charge des patients se retrouvent à le faire. Des infirmières à la retraite sont revenues. Cela peut créer des défis, mais chacun donne le meilleur de soi-même. C’est super de voir la solidarité entre les personnels”, explique-t-il.
Parmi les défis rencontrés, il évoque le manque de certains médicaments, de personnel (ce qui limite l’ouverture de lits), ou encore la qualité du matériel, en particulier des respirateurs artificiels. “Tout le monde n’est pas ventilé avec des machines modernes. Il y a des respirateurs plus archaïques, basiques, avec des réglages obscurs. Ça ajoute à la difficulté“.
Son expérience ne durera que quinze jours, à la suite desquels il retournera à Nashville retrouver sa famille et se mettre en quarantaine. “Je ne fais que passer à New York. C’est plus simple pour moi que pour ceux qui restent, dit-il. Ils ont une vraie force mentale“. Et le goût des petites attentions: malgré le stress, ses collègues ont pris le temps de fêter son anniversaire en achetant quelques pâtisseries provenant d’une boulangerie française. “Mes collègues en France, en Italie ou ailleurs vivent des situations dramatiques. Pour moi, c’était une nécessité de chercher à aider. C’est l’opportunité d’exercer mon métier dans un contexte qui le nécessite“, poursuit-il.
À 7pm, quand les New-Yorkais applaudissent le personnel soignant de leurs balcons ou fenêtres, Matthieu Jabaudon a presque terminé sa journée (il démarre à 7am et termine à 8pm). Qu’est-ce que cela lui fait d’être vu comme un “héros”? “Au début, je me disais que les applaudissements n’étaient pas nécessaires. C’est sympa mais on ne fait que notre travail, répond-t-il. Mais quand on voit ça après une grosse journée, ça remonte le moral“.