Il ouvre la porte de son bureau, s’assied dans son fauteuil de grand ministre et pose son thermos de café tout en haut de la pile de dossiers en retard. Huit heures du matin et Marc est déjà fatigué. Le contentieux « Cunningham » est à régler avant-midi. C’est urgent. Les minutes puis les heures qui passent le consacrent champion du monde au lancer d’élastique et au panier à trois points. Il n’a rien fait. Seule la poubelle est remplie de boules de papier froissé. Il sait qu’il aurait dû s’y mettre, mais il n’a pas pu. À l’autre bout du téléphone, son client est affolé, les impôts lui courent après. « Ne vous inquiétez pas, je m’en occupe, on a le temps ». Il lui raconte des salades, c’est devenu sa spécialité. La satisfaction qu’il ressent d’avoir gagné un nouveau répit d’une journée est bien vite remplacée par un profond malaise et une grande tristesse. « Ce n’est pas moi de trahir ceux qui me font confiance. J’ai honte. Je ne sais plus quoi faire, aidez-moi ».
Marc est sombre et éteint. Je n’arrive pas à capter son regard. Il ne dit rien ce qui en dit long sur un dilemme qu’il traîne comme un boulet depuis toujours. À quarante ans, ça ne passe plus. Il veut changer, mais n’a aucune idée par quel bout commencer. « Mon cabinet d’expert-comptable marche à fond. Mes clients se passent le mot car je suis très fort à ce que je fais, mais ils n’ont aucune idée de comment je le fais. Je remets constamment les affaires urgentes au lendemain, voire au surlendemain. J’attends jusqu’à l’instant angoissant de me sentir acculé et de ne plus pouvoir faire autrement que d’y aller. Je travaille alors des nuits entières pour rattraper mon retard ». Les rides sur son front ont disparu. Cela lui fait un bien fou de partager avec quelqu’un d’aussi neutre que moi ce qui lui noue les tripes. « Je ne partage pas mes soucis avec ma femme. Elle se plaint de ne pas assez me voir, comme mes deux jeunes garçons d’ailleurs ». Il a le sentiment de s’enfoncer inexorablement dans des sables mouvants. Il est temps de l’en sortir. Avant cela, j’ai besoin de savoir si notre collaboration a une chance. « Quelle est ma musique préférée ? », ma question l’étonne. Il me parle de la joie immense qu’il éprouve lorsqu’il écoute ses groupes de jazz favori. Il sourit, il rayonne presque. Ouf, il reste de la vie dans cet homme en souffrance. On va pouvoir bosser.
Son père, commissaire de police, était si consciencieux et exigeant avec lui-même que Marc a pris le pli inverse. « C’est ridicule, mais cela a été ma façon d’exister dans le cocon familial. Aujourd’hui, c’est imprimé dans mon DNA ». Il est parti s’installer à New York, loin de son Alsace natale, espérant se défaire de ce qu’il pensait n’être qu’une sale habitude. Le succès, l’argent et l’énergie de la ville n’ont fait qu’appuyer là où ça fait mal. « La vérité est que je suis un procrastinateur invétéré ».
Marc a besoin de moi pour être son garde-chiourme. Il est persuadé que c’est la solution à tous ses malheurs. « Aide-moi à établir une méthode de travail que je suivrai au pied de la lettre, en bon soldat ». Je sais d’avance que son idée est vouée à l’échec. J’hésite, je déteste faire le flic, mais décide de le laisser se rendre compte par lui-même que le chemin qu’il veut suivre n’est pas le bon. Nous mettons au point une stratégie basée sur la meilleure façon de prioriser les dossiers en cours. Une semaine plus tard, il revient déçu et désemparé. Le premier jour s’est bien passé mais la pression de savoir qu’il devait me reporter ses progrès le lundi suivant l’a empêché d’accomplir sa mission. Jolie fausse excuse. « Je suis une catastrophe ambulante ». Il en rajoute une couche dans l’auto-flagellation. J’essaie de comprendre au lieu de partager sa frustration. Contrairement à un psychologue qui cherche à identifier ce qui ne va pas pour soigner son patient, un coach cherche à construire sur le positif de son client. Parfois l’angle d’approche, comme celui que je décide d’utiliser avec Marc, peut s’avérer déstabilisant.
Et si au lieu de lutter contre sa nature de procrastinateur, il l’accueillait à bras ouverts ? Le silence qui suit me dit que j’ai frappé à la bonne porte. « Accepter qui je suis pour me permettre d’être en contrôle ? ». Bingo, voilà le chemin à suivre. Au lieu de rester planté les bras ballants devant un bureau de plus en plus surchargé, qu’aimerait-il faire à la place ? « J’adore le cinéma » murmure-t-il timidement. Et bien qu’il y aille ! « Et mon travail ? ». Il ne le fera pas quoi qu’il arrive, autant qu’il se fasse plaisir. L’idée derrière tout cela est de le mettre face à face avec son gros défaut qui lui gâche la vie. Il a pris l’habitude d’en faire une montagne, j’aimerais savoir si c’est bien le cas. Quand je le revois la semaine suivante, j’ai littéralement quelqu’un d’autre devant moi. « J’ai vu beaucoup de films et je suis rentré à la maison vers dix-sept heures tous les soirs. C’est génial. Je me sens bien, la pression énorme que je me mettais sur les épaules s’est envolée ». Quoi d’autre ? « Je ne me suis pas senti coupable. Au lieu de m’en vouloir et de me traiter de tous les noms, j’ai éprouvé de la compassion envers moi-même ». Et alors ? « Crois-moi si tu veux, mais j’ai fini tous mes dossiers à temps, sauf un, et sans grande difficulté ». Marc apprend à vivre avec son dilemme au lieu de se bagarrer contre. C’est tellement plus facile et plus constructif.
Il lui a fallu trois mois de travaux pratiques, avec des hauts et des bas, pour ne plus avoir besoin de son coach comme canne blanche. Il voit clair maintenant, la honte et les interdits ne sont plus de mise. Il a réalisé que plus il acceptait qui il était, un « gentleman proscratinateur », moins il le devenait. Les repas en famille l’ont aidé à réfléchir calmement. Il dort bien la nuit. Le matin, il arrive au bureau content, prêt à achever la quantité de travail qu’il s’est imposé. Quand l’ombre de la procrastination réapparaît, il en sourit au lieu d’en avoir peur, et si elle subsiste, il part se balader l’esprit libre. Sa vie a changé sans faire les sacrifices douloureux qu’il envisageait. « Fais avec ce que tu as, ça ferait un bon titre de film, tu ne crois pas Nicolas ? ». Je souris. Il est enfin la star de sa propre vie.
Pour en savoir plus sur ce qu’est le coaching avec Nicolas Serres-Cousiné, visitez www.monlifecoach.com
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Faire une liste des choses à faire, la trier par priorité, s’y tenir !