C’est une « grande enveloppe » envoyée de la côte Est qui a apporté la bonne nouvelle à Martine Jardel en 1993. À l’époque, la Française vient s’installer à San Francisco pour étudier au Art Institute. « Les étudiants étrangers avaient des casiers, se souvient la peintre aujourd’hui âgée de 72 ans. Un jour, j’ai reçu un dépliant me proposant de participer à la loterie de la green card ». Même si elle n’y « croit absolument pas », Martine Jardel laisse son mari remplir le formulaire d’inscription. « Il fallait ensuite le renvoyer timbré à Philadelphie ».
Quelques mois plus tard, alors qu’elle prend un cours du soir, Martine Jardel voit son mari « débarquer en agitant une grande enveloppe ». Nul besoin de la décacheter pour comprendre qu’elle vient de gagner la carte verte. « J’étais hilare. Comme nous étions mariés, mon époux l’a eue et il s’est occupé de toute la paperasse ». Pas évident sans mail ni ordinateur.
C’était il y a 24 ans, mais le souvenir de ce moment est resté gravé dans la mémoire de l’artiste-peintre. Cette émotion, des milliers de Français espèrent la vivre alors que la fameuse loterie de la carte verte pour 2019 s’ouvre, ce mardi 3 octobre. Les places sont chères. Cinquante mille visas seront attribués cette année encore, mais plusieurs millions de personnes jouent chaque année (9,4 millions en 2015). Et le nombre de Français chanceux est peu élevé: 314 pour l’année fiscale 2015 selon le Department of Homeland Security (DHS).
De surcroît, remporter la loterie ne donne pas automatiquement lieu à une carte verte. Il faut ensuite que les dossiers retenus soit traités avant la fin de l’année fiscale (30 septembre de l’année suivant la loterie). Autrement, il faut tout recommencer depuis le début. “Ils sélectionnent 100.000 personnes lors de la loterie mais il n’y a que 50.000 personnes retenues au final. Ils en choisissent plus car il y a ceux qui abandonnent ou qui la refusent“, explique Géraldine Boisnard, une entrepreneuse française basée à Fort Myers et auteure d’un ouvrage, Notre rêve américain, sur la loterie.
Elle et son mari ont joué à la DV Lottery en 2013 sur un coup de tête et l’ont remporté du premier coup. Elle met en garde les participants contre les coûts, souvent sous-estimés, associés à la procédure. “Il faut débourser des frais de visas, d’immigration, de visite médicale. Pour nous, cela a été multiplié par quatre car nous avons deux enfants. Après, il faut réfléchir au coût de la vie sur place, trouver un travail… Les Etats-Unis, ça coûte cher“.
Pour ceux qui passent sous les fourches caudines du système, c’est le début d’une nouvelle vie. « Ça a changé mon existence, s’exclame Martine Jardel. Au début, la green card m’a permis de réduire mes frais de scolarité et de faire des jobs étudiants ». Elle a obtenu la double nationalité il y a cinq ans et vit toujours à North Beach, le quartier des Beatniks de San Francisco.
Entre temps, elle entame les démarches : remplir le dossier recensant toutes les adresses où elle a vécu, sa carrière, l’examen médical… Et elle décide d’en profiter pour changer de voie professionnelle. « J’avais envie de faire quelque chose de manuel ». Dès sa sélection à la loterie, elle s’inscrit en CAP pâtisserie.
Les démarches se déroulent sans embûche, excepté un épisode. « Nous avons dû retourner à l’ambassade une seconde fois car l’enregistrement de notre dossier a été retardé à cause d’un bug informatique », raconte la Parisienne, qui a reçu son visa temporaire, nécessaire pour récupérer la carte verte aux Etats-Unis, en décembre. En fin d’année 2015, soit plus d’un an après le début des démarches, Sophie Goubet et son mari débarquent à Los Angeles.
D’autres font durer le plaisir. Cléo Desgagny a décidé de “suspendre” sa carte verte. Arrivée aux Etats-Unis en mai 2014 pour un volontariat international (VI) à l’ambassade de France, elle ne connait alors même pas l’existence de la loterie. Après quelques mois à Washington, le pays lui plaisant, elle décide de s’inscrire. Presque par hasard. « J’en avais entendu parler comme du meilleur moyen de rester aux Etats-Unis, et à ce moment, j’avais bien envie de vivre à New York », raconte-t-elle.
Contre toute attente, elle est sélectionnée. Consciente de sa chance, elle remplit le dossier même si elle n’est pas sûre de vouloir rester dans le pays à l’issue de son VI. En février 2017, l’aventurière s’envole pour le Mexique. Décidée à parcourir le monde, elle enchaîne ensuite sur l’Amérique du sud, les îles du Pacifique et, depuis une semaine, l’Australie. Oublié le rêve américain ? Pas tout à fait. « En payant environ 400 dollars, on m’a donné une autorisation d’absence de deux ans, ce qui me permet de garder ma carte verte », explique-t-elle via Skype, installée dans un hamac sur une plage australienne.
Munie d’un visa vacances-travail, elle compte rester quelques mois au pays des kangourous pour renflouer son portefeuille avant de reprendre son sac à dos. Vers l’Amérique ? Sur la côte ouest qu’elle regarde avec envie ? Peut-être, mais un prolongement de son voyage en Asie semble plus probable dans un premier temps. « Mon billet retour pour la France est en février, mais je pense que je vais le repousser un peu. La seule chose dont je suis sûre c’est qu’en août 2018, je reviens aux Etats-Unis pour le mariage de mon ancienne coloc’. D’ici là, j’ai le temps de voir. »
Par Klervi Drouglazet (san Francisco), Sandra Cazenave (Los Angeles), Rémi Gaggioli (Washington) et Alexis Buisson (New York)