Le chef français Jacques Pépin, installé aux Etats-Unis depuis 1959, vient de signer un nouvel ouvrage : Art of The Chicken, disponible en librairie depuis quelques jours. « Je voulais faire un livre d’illustrations, mais la maison d’édition a insisté pour que j’y ajoute des recettes », rapporte-t-il. « J’ai donc décidé de les incorporer de manière narrative. » Plus qu’un livre de cuisine, il s’agit presque d’un recueil de contes, aux histoires, aux couleurs et aux saveurs variées – qui rappelle à la fois les albums Poulets & Légumes et Menus.
« Je crois que le poulet constitue la nourriture la plus démocratique qui existe : il est servi dans les relais routiers comme dans les restaurants étoilés », note Jacques Pépin. Son appétit pour les gallinacés s’aiguise tôt : son enfance passée à Bourg-en-Bresse, terre d’élevage de la volaille, est marquée par de tendres souvenirs du poulet à la crème de sa mère, Jeanne Pépin. « J’étais déjà en cuisine avec elle il y a plus de 80 ans », se remémore-t-il. « Elle était cuisinière, et mon père ébéniste. Je me destinais donc à l’une de ces deux professions et n’aurais jamais songé à devenir docteur ou avocat. »
« La cuisine française est mal comprise aux Etats-Unis », estime le chef, car « les Américains la regardent à travers le guide Michelin. » En tant qu’enseignant à l’université de Boston – il y a créé des programmes d’arts culinaires et de gastronomie –, il met toujours un point d’honneur à faire découvrir bistrots et troquets à ses étudiants en voyage en France, « pour leur faire goûter des choses simples ». Son amie Julia Child, avec qui il animait une émission de télévision, était souvent considérée plus française que lui, car, de 23 ans son aînée, « elle était attachée aux techniques d’une autre époque ».
S’il a travaillé pour de grands noms, parmi lesquels le général Charles de Gaulle, il préfère désormais « cuisiner pour les amis et la famille. C’est une question d’âge », affirme-t-il. Plus jeune, et notamment au Grand Hôtel de l’Europe ou au Plaza Athénée à Paris puis au Pavillon à New York, il avait tendance à s’attarder sur le dressage des assiettes, qu’il a délaissé pour la sobriété en vieillissant. « Je déguste aujourd’hui les tomates de mon jardin avec un peu de sel et d’huile d’olive », confie-t-il.
Les poulets du chef prennent souvent des formes différentes, qu’ils soient peints ou cuisinés. « Je les aime au vinaigre, frits, à la chinoise pour leurs pattes », énumère-t-il. « Dans toute ma vie culinaire, il ne me semble pas avoir été trop chauvin. Je suis souvent considéré aux Etats-Unis comme un chef français quintessentiel, alors que je prépare aussi des soupes aux haricots noirs avec de la banane et de la coriandre. » Sa femme Gloria, décédée en 2020, était d’origine cubaine et portoricaine et l’a beaucoup inspiré.
En 54 ans de mariage, le couple avait pris l’habitude de créer et de conserver un menu à chaque fois qu’il recevait. Une douzaine d’albums de « menus illustrés, signés par les invités et parfois agrémentés de l’étiquette du vin dégusté ce jour » retracent la vie de Gloria et Jacques Pépin, où bonne chère et beaux-arts ont toujours été entremêlés. Car si la cuisine est son premier amour, la peinture n’arrive pas loin derrière. Le chef a pris ses premiers cours de dessin et de sculpture à l’université de Columbia à New York peu après son arrivée aux Etats-Unis. Ses tableaux, dont certains « datent de 1960 », sont signés de son prénom, avec un J majuscule transformé en parapluie – pour pépin. Une partie de ses œuvres sont exposées en ce moment à la bibliothèque de Scranton à Madison, dans le Connecticut où il réside. Invité hier à New York pour une conversation avec sa collègue Carla Hall, il y reviendra début octobre pour le festival Greenwich Wine + Food.
A bientôt 87 ans, il n’a pas l’intention de ralentir, et annonce la sortie d’un nouveau livre dès l’an prochain, « avec toujours beaucoup d’illustrations, mais dans un registre totalement différent. Ce sera plutôt un livre sur l’art de l’économie dans la cuisine », s’enthousiasme-t-il.