Qui eut cru qu’un banal article (celui du New York Times) consacré à l’essor du bilinguisme à New York, pouvait déclencher la passion des foules américaines?
Et pourtant, l’article a connu un succès important auprès du lectorat du quotidien, si l’on en croit son auteur Kirk Semple. “Il a été propulsé au sommet des articles les plus partagés via e-mail et est resté à la première place pour 24h, ce qui est extrêmement rare. Un tel intérêt m’a complètement surpris“, écrit-il dans un e-mail, partagé avec les membres du réseau social New York in French, jeudi.
Tous les lecteurs ne sont pas pour autant tous béats d’admiration devant ces éblouissants progrès du rayonnement français. Les commentaires sur la page facebook du New York Times s’insurgent par exemple qu’on ne privilégie pas «l’espagnol, beaucoup plus utile que le français » ou assurent que «les enfants devraient déjà apprendre à bien parler l’anglais avant de commencer à apprendre une quelconque autre langue »… Mais d’autres prennent la defense du français, assurant «qu’on devrait avoir des programmes français-anglais dans toutes les grandes villes des Etats-Unis ».
La réaction la plus virulente vient sans doute du journal de centre-gauche New Republic. Dans un article au titre cinglant: – «Cessons de prétendre que le français est important» – John McWhorter, un linguiste reconnu, explique que les enfants américains ne devraient plus avoir à apprendre le français en classe. « Les programmes bilingues sont très biens pour les enfants d’immigrés francophones mais pour nous, natifs des Etats-Unis, apprendre le français à l’école est une idée absurde».
L’auteur (par ailleurs francophone distingué), s’en prend à la perte d’influence du français qui le rendrait “inutile”, mais on perçoit un autre argument, peut-être plus fondamental, qui fait de la langue de Molière un symbole social. Le français est devenu un « marqueur linguistique d’élégance», dit-il et non plus une langue qui permet de communiquer. Il enchaîne : « c’est très bien que la connaissance du français vous permette de vous passer des sous titres lorsque vous visionner certains films d’art et d’essai, mais je ne comprends pas pourquoi cela devrait être considéré comme une priorité dans l’éducation des enfants».
Mais John McWorther avait sans doute sous-estimé la réponse de ses lecteurs: il se fait lourdement remettre à sa place dans les commentaires, beaucoup dénonçant une vision du monde “purement mercantile”…
Les lecteurs ne sont pas les seuls à répliquer. Rob While de Business Insider s’y met aussi sur le ton de l’humour. Titre de son article: « 7 raisons pour lesquelles votre enfant devrait apprendre le français ». Parmi elles, “parce que la politique française est le show le plus amusant aux infos“, peut-on lire au-dessus d’une photo de Valérie Trierweiler et François Hollande.
Quant à Rod Dreher, rédacteur en chef francophile de The American Conservative, c’est à contre-coeur qu’il soutient la thèse de John McWhorter «Cela me rend malade d’être d’accord avec McWhorter », déplore-t-il. “Sauf si un de mes enfants avait un attrait particulièrement fort pour la langue française et la culture, je l’encouragerai à apprendre l’espagnol ou le chinois, s’ils sont disponibles ». Le français délie les langues.