L’ancien diplomate américain Stephen R. Kelly signe une tribune dans le New York Times pour défendre l’immigration des Mexicains en s’appuyant sur l’exemple des Franco-Canadiens. En voici la traduction.
A voir la foire d’empoigne à Washington concernant la réforme sur l’immigration, il est facile de conclure que notre objectif national a toujours été d’avoir une frontière hermétique.
Après tout, le message sans équivoque derrière les nombreuses mesures de sécurité aux frontières proposées dans la loi sur l’immigration, approuvée le mois dernier par le Sénat et qui est maintenant étudiée par la Chambre des représentants, est qu’un pays qui ne peut pas empêcher les étrangers de grouiller de manière incontrôlée à la frontière est en grave danger.
Le problème, que j’ai découvert lorsque j’étais Consul général des Etats-Unis à Québec à la fin des années 1990, est que ce récit va à l’encontre de notre histoire.
Depuis la fin du XIXème siècle jusqu’au début du XXème siècle, près d’un million de Franco-Canadiens ont afflué à la frontière nord pour travailler en Nouvelle-Angleterre dans les usines de textiles et de chaussures. Cette mouvance, qui appartient à une tendance encore plus grande d’Anglo-Canadiens qui émigraient également vers le sud, a déferlé après la Guerre civile et s’est terminée avec la Grande Dépression, avec des pics dans les années 1880 et 1920.
La majorité de ses demandeurs d’emploi – de langue française, lents à l’assimilation, la plupart catholiques – sont entrés sans visas, permis de travail ou passeports car pendant la majeure partie de cette période, notre frontière avec le Canada était effectivement ouverte.
Non seulement les Etats-Unis ont survécu à cet assaut non régulé, mais cela leur a permis de prospérer. En effet, notre histoire suggère qu’avoir une frontière ouverte avec nos voisins continentaux n’est pas une si mauvaise chose.
Il est difficile de calculer combien de Franco-Canadiens ont fait le voyage car avant 1895, aucun agent fédéral du service d’immigration n’a contrôlé la frontière nord. Ni le Canada, ni les Etats-Unis, n’ont considéré cette libre circulation des personnes de part et d’autre de leur frontière comme un problème nécessitant une solution.
Même lorsque les Etats-Unis ont construit des postes frontaliers à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, ils visaient principalement les Européens de l’est et du sud qui passaient par le Canada pour éviter les sélections à l’immigration aux ports de New York et de Boston.
Les migrants canadiens, malgré leur nombre élevé – en 1900, le nombre de résidents américains nés au Canada équivalait à 22% de la population totale du Canada – ont continué à bénéficier de traitements favorables.
Ils n’ont pas eu à payer la taxe d’entrée imposée aux autres étrangers, et aucun document de leur entrée n’a été conservé jusqu’à la Loi de Naturalisation en 1906. Et ce n’est qu’en 1926 qu’ils ont dû se munir d’un visa pour se déplacer de manière permanente aux Etats-Unis.
Lorsque les Etats-Unis ont imposé les quotas d’immigration en 1921, les Canadiens – ainsi que les Mexicains et les autres latino-américains – en ont été exemptés, un statut dont ils ont joui jusqu’à une modification du système des quotas en 1965.
Alors, comment se sont portés les Etats-Unis pendant cette période d’immigration largement non contrôlée ? Et qu’est-il arrivé à ces Franco-Canadiens, dont les différences linguistique et religieuse les ont démarqués plus fortement que les migrants canadiens anglophones ?
La plupart a afflué vers les villes ouvrières de Nouvelle-Angleterre, où ils ont alimenté les usines de textiles qui ont connu un véritable essor après la Guerre civile. Sur le même modèle que celui qui reflète l’immigration mexicaine d’aujourd’hui, ils ont suivi les membres de leur famille là où les emplois étaient abondants mais aussi difficile et peu désirés.
Leur travail était tellement demandé que les propriétaires des usines envoyèrent des recruteurs au Québec pour en embaucher davantage. Des villages entiers émigrèrent vers le sud, le plus souvent en train, grossissant la population de villes comme Biddeford (Maine), Southbridge (Massachusetts), et Woonsocket (Rhode Island), dont plus de 60% des habitants en 1900 étaient des Franco-Canadiens.
Comme pour les migrants mexicains aujourd’hui, tout le monde ne s’est pas félicité de cet afflux. Un fonctionnaire du Massachusetts qualifiaient en 1881 les Franco-Canadiens de « Chinois des pays de l’est » dans un rapport qui les décrivait comme d’ « infatigables travailleurs » n’ayant aucun intérêt à être assimilés et qui tiraient les salaires américains vers le bas. Ils étaient calomniés au Québec, où les leaders politiques et religieux envoyèrent des missionnaires pour les récupérer.
Certains sont rentrés, mais la plupart sont restés et ont été assimilés. En plus d’avoir participé au boom de l’industrie en Nouvelle-Angleterre, des milliers d’entre eux ont participé aux guerres mondiales. René Gagnon, dont la mère native du Québec a travaillé dans une usine de chaussures à Manchester (New Hampshire), fut l’un des Marines photographié hissant le drapeau américain sur Iwo Jima en 1945. L’auteur Jack Kerouac est né de parents franco-canadiens à Lowell (Massachussetts).
Loin de provoquer l’effondrement de la république, ces nombreux migrants non-régulés ont aidé à construire les Etats-Unis que nous connaissons aujourd’hui.
Ce que montre l’expérience franco-canadienne est que notre obsession actuelle de la sécurité aux frontières est incompatible avec notre histoire, sape notre vitalité économique et échouera probablement.
Au lieu d’essayer vainement de fortifier nos frontières terrestres, nous devrions travailler avec le Canada et le Mexique pour éradiquer de l’Amérique du Nord dans son ensemble ce qui vaut la peine de s’inquiéter: les terroristes, les armes de destruction massives, la cocaïne.
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Crédit : Xinhua/Sipa USA
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Des Bretons qui accueillent des Gaulois ca se produit depuis la préhistoire. Les Mexicains et les Américains en revanche ne sont en contact que depuis moins de 2 siècles.