« C’était un grand et joyeux bordel ». Sourire aux lèvres, l’acteur français Francis Dumaurier, 72 ans, se souvient du festival de Woodstock, qui s’est tenu du 15 au 18 août 1969 à Bethel (Etat de New York). Du solo hors norme de Jimi Hendrix. Des riffs délirants des Who. Et de la voix rauque de Janis Joplin, devant une foule extatique d’un demi-million de personnes. Trois jours de « sex drugs et rock’n roll » qui ont embrasé l’été 69 aux Etats Unis.
Si le festival est désormais entré dans la légende, peu de Français y ont participé. « Ca ne se faisait pas trop de traverser l’Atlantique à l’époque : c’était très cher et il fallait connaître du monde sur place », remarque Francis Dumaurier. Bien décidé à découvrir le pays du rock’n roll, le jeune homme déniche tout de même un vol charter au départ de la Belgique, et part à l’aventure avec 200$ en poche, sans plan précis.
Un joli hasard
Car le festival de Woodstock reste très peu médiatisé dans l’Hexagone. Et les Français présents y ont souvent atterri grâce au bouche-à-oreille. « J’en ai entendu parler à un arrêt de bus, à New York », souligne Nicole Devilaine. En ce mois d’août 1969, la jeune femme vient de gagner un billet d’avion pour les Etats-Unis grâce à l’Université de Lyon. Lorsque des jeunes hippies rencontrés sur place lui proposent de les accompagner à un festival pour le week-end, elle ne se doute pas que Woodstock va « marquer l’Histoire ».
Un tournant personnel
Mais en plus d’être un tournant historique, Woodstock est pour beaucoup un tournant personnel. « Woodstock, ça a été pour moi une renaissance : le début de ma vie d’expat’ » assure Francis Dumaurier. « Ca m’a donné envie de tout tester. Un peu comme dans l’hymne de Jimi Hendrix, “I want to know about the new mother Earth / I want to hear and see everything” » (ndlr : tiré du titre “Up from the Skies”). Peu de temps après, Francis Dumaurier devient d’ailleurs guide dans la jungle amazonienne avant de travailler pendant cinq ans à Rio de Janeiro, dans le secteur du voyage. De là, il décide de revenir à New York – où il vit encore – pour exercer le métier d’acteur.
« Je voulais déjà m’installer aux Etats-Unis, mais Woodstock a attisé mon envie d’expatriation. C’était l’idée qu’en Amérique, tout était permis », renchérit Nicole Devilaine – qui a mis un pied dans le monde de la musique et du cinéma avant de diriger le bureau de FranceTélévisions aux Etats-Unis pendant plusieurs années.
Le rock’n’roll comme langue commune
Peu nombreux, les Français de Woodstock ne se sont pourtant pas sentis en décalage. « Il y avait des jeunes du monde entier », remarque Nicole Devilaine, qui s’est rendue au festival avec des jeunes belges et sud-américains. Pour Francis Dumaurier, Woodstock incarnait un désir d’ouverture des frontières territoriales et spirituelles chez la jeune génération : « Il n’y avait pas de nationalités. Cette musique, c’était notre communication mondiale. Le rock’n roll, notre langue commune ».
Avec l’élection de Trump, la crispation identitaire et les fusillades racistes – comme à El Paso (Texas) ce mois-ci -, « l’esprit de Woodstock semble s’évaporer », regrette Francis Dumaurier. Certes le festival figure dans le livre d’histoire de sa nièce, mais il craint que cette date clé ne soit devenue une coquille vide. « Espérons que ce n’est pas un point de non retour, glisse Nicole Devilaine. Il y a encore une Amérique comme ça, bien qu’elle ne soit pas prépondérante ».