Saviez-vous que l’un des premiers Français à s’être installé en Californie, en 1831, Jean-Louis Vignes, était un Bordelais qui fut aussi le premier à y commercialiser du vin ? Que Los Angeles eut un Marseillais pour maire, de 1865 à 1866 ? Et que ce sont des compatriotes français qui créèrent, en 1869, le premier hôpital non-confessionnel de la ville, appelé « the French Hospital » ?
Voilà quelques-unes des anecdotes savoureuses que l’historienne Hélène Demeestere partagera sûrement vendredi 22 février à l’Alliance Française de Pasadena, dans le cadre d’une conférence consacrée à l’ancien quartier français oublié de la Cité des Anges. Doctorante en histoire à l’Université Paris Panthéon-Sorbonne, cette Franco-américaine installée en Californie depuis 18 ans, se passionne pour l’histoire de l’immigration des Français à Los Angeles. Un sujet sur lequel existent très peu d’écrits et de recherches.
«Les tous premiers immigrants français à Los Angeles sont souvent des aventuriers arrivés par l’Amérique latine» raconte Hélène Demeestere. “C’est le cas de Vignes, expulsé par les Anglais des îles Sandwich. Quand il arrive en 1831, il développe la vigne, jusqu’ici réservée au vin de messe des missions. Comme ses affaires marchent bien, il fait venir sa famille bordelaise». En 1865 sur 10 000 Angelinos, on compte 223 Français. Beaucoup sont originaires des Pyrénées et des Alpes.
«Leur grande force, c’est qu’ils sont à la charnière entre deux cultures majoritaires en Californie : Anglo-Saxons avec leur tête, car à l’époque ce sont des républicains démocrates, favorables à un gouvernement solide, une démocratie disciplinée. Mais Latins avec le cœur. Ils sont proches des Mexicains, catholiques, aiment le bon vin et parlent espagnol. C’est cela qui les a aidé à être aussi influents malgré leur faible nombre ». Cultivés, polyglottes, « très souvent associés avec des gens importants », on les retrouve en politique, dans la banque, l’agriculture et le commerce. Aujourd’hui encore, des rues de L.A portent le nom de certains d’entre eux.
“Une micro-société française”
L’arrivée du chemin de fer en 1876, l’abondance et le faible prix des terres à Los Angeles, voient débarquer des Français de San Francisco et de l’Est. A partir de 1880, avec l’immigration de masse, on compte 600 Français, puis le double l’année suivante. Cette vague d’immigrants est constituée d’individus plus pauvres. Ils viennent habiter le quartier français qui s’est développé Downtown et que les habitants locaux nomment « French Town ». On y trouve des restaurants, des hôtels, des boulangeries, des blanchisseries, des journaux et des réseaux associatifs d’entraide très actifs.
«C’est typique dans l’histoire de l’immigration » note l’historienne. « Lorsque l’on arrive dans un pays inconnu dont on ne parle pas bien la langue, on récrée sa propre identité en se construisant un voisinage. Ce quartier était une micro-société française ». Hélène Demeestere, qui a déjà préparé en 2008 une exposition sur le quartier français et publié un livre intitulé “Pioneers and Entrepreneurs: French Immigrants in the Making of Los Angeles, 1827-1927“, présentera lors de la conférence une série de photos et de plans pour illustrer son propos.
Il lui arrive de rechercher puis de rencontrer des descendants de Français arrivés au XIXe siècle. « Il y a quelques cas où l’on a réussi à transmettre la langue française, comme la famille qui tient le restaurant Taix depuis cinq générations, mais en général, la plupart sont assimilés et connaissent très peu de choses sur leur famille. Du coup, ils sont heureux que je puisse leur apprendre des anecdotes sur leurs ancêtres ».