Les tarifs douaniers ne sont pas une nouveauté, mais les récentes annonces de Donald Trump posent des questions inédites. Pour comprendre ce que les tarifs peuvent changer, il faut considérer l’impact économique, direct et indirect (que nous n’aborderons pas dans cet article mais qui est réel en termes de qualité de vie), et l’impact global sur les grands équilibres mondiaux.
Mais tout d’abord, un peu de contexte en quelques chiffres, pour cerner le problème :
Que peut-on déduire de ces chiffres ?
Le consensus parmi les économistes (voir l’excellent résumé par Ray Dialo sur X) est que les tarifs sont en général contre-productifs pour l’importateur en particulier car ils sont inflationnistes (0.1% d’inflation pour chaque 1% de tarifs d’après Goldman Sachs, le calcul est vite fait) et favorisent les industries non-compétitives, qui sont protégées et ont moins d’incitations à l’innovation et à l’efficacité que dans un environnement purement concurrentiel. Évidemment ce n’est pas favorable non plus pour les exportateurs.
La vision affichée de Donald Trump est que les tarifs vont relocaliser les activités industrielles aux États-Unis, donc créer des emplois et générer des revenus, ce qui va permettre de diminuer la dette. Numériquement, c’est improbable ; non seulement faut-il construire ou adapter les usines, il faut aussi trouver la main-d’œuvre et faire l’hypothèse que les consommateurs vont continuer à consommer après une phase inévitablement inflationniste.
Quels sont les scénarios possibles ?
Donald Trump a déjà envoyé des signaux montrant que sa stratégie est d’obtenir des concessions avant de mollir sur le niveau des tarifs. Concernant l’Europe, et plus particulièrement la France, que veulent les États-Unis ? À un niveau basique, que les entreprises américaines, en particulier numériques, ne soient pas trop imposées, que les fermiers américains ne soient pas pénalisés, et que les Européens achètent encore quelques avions de chasse F-35.
Que peut offrir l’Europe ? Ce n’est pas une puissance hostile envers les États-Unis, ni en mentalité, ni en capacité, donc pas une menace qui demande beaucoup d’attention. De plus, l’Union Européenne représente 13% du chiffre d’affaires des entreprises du Standard & Poor’s 500, ce qui est important mais pas catastrophique si l’UE achetait moins de produits américains (le reste du monde représente 29%).
Quels produits ou technologies critiques l’Europe détient-elle qui pourraient servir de levier dans une négociation ? Malheureusement, la réponse est simple : aucun. Cette situation n’est pas une fatalité, elle résulte de choix et de priorités. L’Europe a les talents et les ressources pour affirmer son indépendance et son leadership, pour peu qu’elle y mette sa volonté.
Certes, certains composants spécialisés de l’iPhone sont fabriques en France, mais ce n’est pas critique et Apple saurait gérer un remplacement. Une pénurie de voitures de luxe, de maroquinerie haut de gamme ou de champagne n’est pas vraiment une menace existentielle. Bref, l’Europe a cessé d’être une préoccupation américaine, et l’impact des tarifs n’en est qu’une des conséquences.
Le problème est maintenant la concurrence chinoise, qui ne cesse de s’intensifier. Une action militaire chinoise à Taiwan – de moins en moins improbable pour ne pas dire de plus en plus probable – aurait pour effet de faire passer TSMC (Taiwan Semi Conductor Corporation) sous contrôle de Pékin, un problème stratégique majeur car toute l’électronique américaine ou presque en dépend.
En attendant, les militaires américains sont très inquiets, entre autres, des progrès chinois dans la destruction de satellites ennemis. Ceci explique le pivot Indo-Pacifique des États-Unis, qui date de l’ère Obama, et qui a été récemment réaffirmé, avec naïveté mais réalisme par le secrétaire à la défense américain. Il est permis de dire que l’Europe n’a que très récemment commencé à prendre conscience de ce changement profond.
De ce point de vue, l’Europe est dans une position moins favorable que la Chine pour obtenir des concessions majeures de la Maison Blanche. En conséquence, il ne faut pas s’attendre à des largesses de la part des États-Unis, et il faut que la France et l’Europe travaillent durement à pénétrer d’autres marchés à l’export. De ce point de vue, l’accord Mercosur prend tout son sens, même s’il est potentiellement négatif pour les agriculteurs français.
Cependant, cela ne compensera pas la perte d’exportations vers les États-Unis ni le ralentissement de la croissance qui paraît inévitable – 1.5% du PIB de la France provient des exportations vers les États-Unis. Notons que la croissance française, ou allemande, est actuellement inférieure à 1%. Le scénario le plus probable semble être celui d’une Europe et d’une France subissant une réduction de son commerce avec les États-Unis et donc à des contraintes budgétaires encore plus fortes sans moyens de compenser, à un moment ou un effort d’investissement dans le militaire est impératif.
Cela ne peut que se traduire par des difficultés pour les citoyens européens. Il serait illusoire d’espérer une sortie sans séquelles économiques et sociales de la remise à plat de l’ordre mondial que Donald Trump a déclenchée. À plus long terme, seul un sursaut sur l’innovation permettra à l’Europe et à la France de conserver sa croissance et sa prospérité.
Laurent Philonenko est managing partner de Deeptech Group, qui commercialise des solutions IA. Etabli aux US depuis 25 ans, il a dirigé des activités globales au sein d’entreprises de technologie publiques ou privées. Au delà de sa présence professionnelle ll a publié plusieurs articles relatifs aux grands defis tels que le changement climatique, la résilience urbaine ou l’assurance.
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