Guénaël Prince a tout de l’ingénieur français, à commencer par une certaine modestie. On devinerait difficilement que Waga Energy, l’entreprise qu’il a créée avec Mathieu Lefebvre et Nicolas Paget, s’est introduite en bourse sur l’Euronext après seulement six ans d’existence et deux levées de fonds. Avec 33 millions d’euros de revenus en 2023, et 100 millions d’euros sécurisés pour 2024-25, l’entreprise grenobloise affiche une croissance en « hockey stick » dans un marché porteur, et entend doubler ses effectifs américains d’ici la fin de l’année. Comment en est-elle arrivée là ?
L’aventure Waga commence en 2015 chez Air Liquide. Guénaël Prince et ses deux associés ont créé pour le géant des gaz industriels une solution qui transforme le biogaz émis par les décharges publiques en biométhane, un substitut du gaz naturel, grâce à un procédé de distillation cryogénique. « La matière organique des décharges crée, lors de sa décomposition anaérobie, du méthane, qui est un très puissant gaz à effet de serre et une source majeure de pollution atmosphérique, explique Guénaël Prince. Le pouvoir réchauffant du méthane est entre 25 à 50 fois plus important que celui du CO2, et il a été reconnu par la récente COP comme un contributeur très significatif du réchauffement climatique ».
Le projet avance, mais la technologie est risquée et ce n’est pas un marché prioritaire pour Air Liquide. Les associés décident donc de prendre leur envol entrepreneurial, Air Liquide restant associée au capital. La propriété intellectuelle de leurs recherches en poche, ils font une première levée de fonds pour financer un modèle d’affaires d’investisseur exploitant très capitalistique : charge à eux de financer, d’installer et d’opérer leurs « WAGABOX » sur les décharges de leurs clients, avec qui ils partageront les revenus générés.
L’entreprise est seule sur son marché en France et en Europe et signe ses premiers contrats dès 2016. Son attention se tourne rapidement vers les États-Unis et ses 2700 décharges – la plupart de petite et moyenne taille, mais néanmoins trois à cinq fois plus grosses que leurs équivalentes françaises. Grâce à un cadre règlementaire plus favorable aux biocarburants, la concurrence y est aussi plus intense. L’entreprise lève 10 millions d’euros en série B en 2019 pour financer le début de ses développements internationaux, et Guénaël Prince part s’installer à Philadelphie en octobre de la même année.
« Notre modèle d’investisseur-exploitant nécessite d’importants investissements, et nous devons financer le déploiement de notre solution WAGABOX en Europe et en Amérique du Nord (États-Unis et Canada). Nous réfléchissons au meilleur moyen de lever des capitaux sans perdre le contrôle de l’entreprise – et finalement l’option d’entrer en bourse s’impose », dit-il. L’introduction en bourse se fera en octobre 2021, et Waga Energy lève 125 millions d’euros. Dès lors, le développement de l’entreprise à l’international s’accélère : Espagne, Royaume-Uni, Italie, Canada et États-Unis.
« Nous avons assez vite du succès avec les collectivités locales, raconte Guénaël Prince. Waga Energy assume tous les investissements ainsi que l’exploitation et la maintenance de l’unité WAGABOX et même la vente du biométhane. Nous faisons aux collectivités une offre qui leur permet de créer de la valeur sans avoir à investir ». Un investissement dans une WAGABOX est une belle histoire pour les collectivités, qui vient redorer le blason de décharges qui ont rarement bonne presse. Guénaël Prince apprécie également l’appétence au risque de ses interlocuteurs publics, et dit ne pas avoir rencontré de réflexe protectionniste chez ses clients américains.
Il faut néanmoins s’adapter à la diversité d’un marché américain gigantesque et fragmenté : « En France, nous avons un interlocuteur unique pour interconnecter nos unités WAGABOX aux réseaux de gaz naturel, GRDF, et un processus très balisé. Ici, il faut adapter notre solution, et les contrats associés, à chaque fois, avec de nouveaux partenaires ». Point positif néanmoins, les collectivités locales s’appuient en général sur des services d’ingénierie externes spécialisés, ce qui donne lieu à des appels d’offre bien cadrés, pertinents et efficaces, bouclés en quelques semaines au lieu de plusieurs mois. « Étant donnés la taille du marché américain et le cycle de développement d’un projet (entre 6 mois et 2 ans), notre stratégie aux États-Unis a été d’investir fortement dans les équipes de vente ».
Le marché de Waga Energy est aujourd’hui en surchauffe, et les valorisations élevées rendent difficiles les acquisitions externes. Guénaël Prince prévoit donc une vague d’embauches cette année. « Aux États-Unis, il ne faut pas lésiner sur les ressources. Il faut engager d’importants moyens pour pénétrer le marché nord-américain, car les salaires et les CapEx (dépenses d’investissement de capital NDLR) sont plus élevés. Il faut prévoir une structure robuste, et mobiliser d’importants investissements ».
Un peu plus de deux ans après l’entrée en bourse, le futur est rose pour Waga Energy, qui a réussi à surmonter les challenges successifs du Covid et de la guerre en Ukraine. Son carnet de commandes bien rempli a satisfait les investisseurs de l’Euronext, vus à Paris en février. De belles usines à gaz, au sens littéral du terme.