Qu’il paraît loin, le premier voyage de Grain de Sail à New York fin 2020. Après deux rotations annuelles pendant près de quatre ans entre la Bretagne et la Grosse Pomme avec un bateau de 24 mètres de long, l’entreprise française, fer-de-lance du transport transatlantique de marchandises à la voile, a décidé de passer à la vitesse supérieure. Cette année, un voilier deux fois plus long, haut et large, avec une capacité de chargement de 350 tonnes, s’est élancé le 15 mars de Saint-Malo vers New York. Baptisé Grain de Sail II, il devrait arriver au South Street Seaport (Pier 17), son port d’attache new-yorkais pour quelques jours, autour de ce mercredi 3 avril.
À son bord, le vin et le chocolat de la marque bretonne, mais aussi – et pour la première fois – des produits d’autres entreprises (parfums, guitares, cosmétiques, textile, maroquinerie…) qui ont décidé d’utiliser le deux-mâts comme solution de transport plutôt qu’un porte-conteneurs polluant et dangereux, comme celui qui a détruit le pont Francis Scott Key à Baltimore en mars. « Grâce à ce nouveau service, on veut montrer que notre projet de décarboner les chaînes logistiques peut devenir universel », résume Pierre Maruzzi, le directeur-export de Grain de Sail.
La société a été imaginée en 2010, quand Jacques et Olivier Barreau, deux frères descendants d’armateurs, se sont fixés pour objectif de dépolluer le transport maritime. Ils décident de construire un voilier et de l’utiliser pour la confection et la vente de leurs propres produits, en l’occurence du café, du chocolat et du vin bio. Comment ça marche ? Le navire dépose ses bouteilles de vin à New York, où elles sont vendues par des cavistes et des restaurateurs locaux, et gagne ensuite les Caraïbes avec du matériel humanitaire à bord. Sur place, il fait le plein de cacao notamment, avant de mettre le cap sur la France pour transformer les fèves en chocolat.
Rapidement, la petite entreprise s’est aperçue qu’elle devait se doter d’une embarcation plus volumineuse pour faire face à la hausse de la demande. Elle a commencé à plancher sur Grain de Sail II dès 2021. « Nous grandissions. Nous avions des besoins plus importants. Par ailleurs, à la suite de la mise en opération du premier voilier, nous avons été sollicités par plusieurs entreprises qui souhaitaient recourir à nos services. Il fallait donc avoir une capacité de transport plus conséquente », explique Stefan Gallard, responsable marketing chez Grain de Sail.
Grâce à ce nouveau voilier, plus moderne, le nombre de boucles transatlantiques devrait s’accroître, passant de deux par an à « cinq à six » à partir de 2025. « Plus le bateau est gros, plus il est rapide car son poids va finir par l’entraîner. Grâce à la carène (partie immergée de la coque, ndr), il va gagner naturellement en vitesse et être plus efficace », reprend Stefan Gallard.
Grain de Sail II alternera entre deux types de trajets : son habituelle « grande boucle » deux fois par an entre Saint-Malo, New York et les Caraïbes, et une « navette » trois fois par an entre New York et Saint-Malo seulement pour transporter directement des produits américains vers l’Hexagone et inversement.
Si le voilier n’a pas de mal à remplir sa cale dans le sens France-États-Unis, le retour est une autre histoire. « Il existe une asymétrique historique dans les échanges entre les deux pays : la France exporte plus vers le marché américain qu’elle n’importe. Nous sommes donc toujours à la recherche de chargeurs qui auraient envie d’envoyer des marchandises vers l’Europe, raconte Stefan Gallard. Nous sommes ‘open to business’ ».
Sur la terre ferme, Laurent Corbel est impatient de réceptionner Grain de Sail II. Co-fondateur d’une société de promotion de la propulsion vélique, Wind Support NYC, le Breton est à l’origine du Skipper Lounge, un nouvel espace au South Street Seaport (189 Front Street) qui accueillera, jusqu’au 15 juin, divers événements liés à la voile et à l’univers maritime. Il y vendra aussi des produits acheminés par Grain de Sail 2. « L’idée, dit-il, c’est de montrer que le transport à la voile existe. S’il y a des gens qui le découvrent à cette occasion, j’aurais marqué un point. Si, derrière, un grand restaurateur comme Jean-Georges Vongerichten, qui a ouvert un restaurant au South Street Seaport, décide d’utiliser des voiliers pour faire venir des marchandises, ça sera une grosse victoire. On en est vraiment au début ».