La conquête américaine se mérite, surtout en période de pandémie. Pascal Lorne, le fondateur de la marketplace de travail temporaire Gojob, en a fait l’expérience : son arrivée aux États-Unis s’est transformée en parcours du combattant. Après avoir pris la décision de se lancer outre-Atlantique et incorporé la société en mai 2021, l’entrepreneur français fait sa demande de visa L-1 B mais essuie un refus le mois suivant. Il recommence un process accéléré en donnant plus de détails et finit cette fois par obtenir le sésame en août dernier.
Problème, il doit décrocher un rendez-vous à l’ambassade américaine pour le faire tamponner. Et à Paris, les prochains créneaux disponibles sont pour juin 2022… Il décide alors de tenter une demande dérogatoire d’urgence. « Il fallait écrire une lettre de 500 mots, sans garantie de réponse, raconte l’entrepreneur. J’ai eu un retour trois semaines plus tard, me disant que j’avais rendez-vous le lendemain à l’ambassade. On m’a posé beaucoup de questions, notamment la raison pour laquelle je devais absolument être aux États-Unis. C’est facile car nous avons de grandes ambitions : atteindre 100 millions de dollars de revenus la deuxième année et embaucher 10.000 personnes ». Il obtient enfin son visa et saute dans un avion pour New York avec sa famille, son fils ayant déjà manqué les trois premières semaines d’école.
Avant d’arriver dans la Grosse Pomme, Pascal Lorne connaissait déjà bien les Etats-Unis de sa précédente vie de serial entrepreneur. En 2004, il a créé Miyowa au début des réseaux sociaux sur mobile, qu’il a revendu au groupe américain coté Synchronoss en 2012. Il en a profité pour passer quelques années dans la Silicon Valley, avant de revenir dans le Sud de la France. En 2015, dans une période marquée par les attentats en France et la fracture sociale, Pascal Lorne décide de fonder Gojob, une plateforme technologique de travail temporaire. Il est convaincu que le lieu de travail peut être un endroit de rencontres entre des populations différentes.
« En plus d’assurer la survie des gens en leur garantissant un salaire, le lieu de travail est un espace de fabrication du civisme, où l’on fait naître de la confiance autour d’un objectif commun : créer ou produire quelque chose. On est sur le même pied d’égalité et l’on travaille individuellement et collectivement à modifier le monde autour de nous, tout en se réalisant soi-même », explique-t-il. Pour lui, cette startup est un projet de société. « Je crois profondément que les entrepreneurs ont un grand rôle à jouer dans la réconciliation de la France de demain. Notre rôle social nous engage beaucoup plus que la fonction que nous assurons dans l’économie de notre pays. »
Pour monter cette plateforme technologique de recrutement, Pascal Lorne a recruté une équipe d’une vingtaine d’ingénieurs de Polytechnique pour développer un algorithme d’intelligence artificielle. Ce dernier identifie et recrute des profils qui sont sortis du marché du travail et méritent une deuxième chance. « Nous sélectionnons des gens discriminés comme les Noirs, les femmes de plus de 50 ans ou encore des ex-prisonniers, qui sont exclus de l’emploi et veulent se relancer. On les recrute et on leur donne cette nouvelle opportunité ». La vision de Gojob est simple : « Le travail est un pilier fondamental de la dignité humaine. »
L’entreprise a essaimé en France puis en Grande-Bretagne et compte aujourd’hui plus de 27 000 employés, pour un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros. Elle propose aussi des services financiers pour aider les « Gojobers » à gérer leurs revenus et épargner, ou encore des formations en ligne pour progresser. La prochaine étape est venue naturellement : les États-Unis, qui représentent 250 milliards de dollars de volume d’affaires, contre 35 milliards en France.
L’entrepreneur est arrivé à New York où il emploie déjà une équipe d’une vingtaine de personnes en vente, tandis que la recherche et développement reste basée en Europe. Il n’a pas chômé puisqu’il a lancé son activité dans deux nouvelles villes : Nashville et Atlanta. « Nous embauchons dans l’industrie, la logistique, le retail. Dans ces secteurs, il n’y a que 2 % de taux de chômage à Nashville. Nous répondons à un besoin criant des entreprises ».
Gojob fait des acquisitions de profils via des publicités sur Facebook, Google ou Linkedin, puis leur fait passer des tests et des entretiens automatisés. Puis une fois validés, ils sont « matchés » avec les demandes des entreprises. « 80 % des clients à qui on fait une démo achètent notre produit », assure-t-il, d’autant qu’il n’existe pas de concurrent américain sur ce créneau. Pourtant, les besoins sont réels, la tension du marché de l’emploi et l’inflation ont obligé les entreprises à augmenter les salaires de 7 % sur ces emplois en 2020, relève-t-il. Pour Pascal Lorne, ce n’est que le début de l’aventure : il prévoit de recruter encore une trentaine de personnes en interne d’ici fin 2022 aux États-Unis et d’ouvrir pas moins de sept villes sur la partie Est des États-Unis. Avant de partir à la conquête de l’Ouest.