Ce vendredi 19 avril, l’ambassadeur de France aux Etats-Unis déménage à New York pour prendre un nouveau départ. Gérard Araud a déjà mis toute sa vie washingtonienne dans des boîtes en carton, direction son nouvel appartement dans le très chic Upper East Side de la Grosse Pomme. Il laisse derrière lui une ambassade pour le moment vide, puisque son successeur n’a pas encore été nommé. D’après nos informations, ce devrait être Philippe Etienne, actuel conseiller diplomatique d’Emmanuel Macron à l’Elysée.
Avant de partir, il s’est confié à French Morning en exclusivité sur sa nouvelle vie, ses défis et ses regrets lors de sa longue carrière. Après 40 ans au service du Quai d’Orsay, un poste à l’ambassade de Tel Aviv, de directeur général des affaires politiques et de sécurité au ministère des Affaires étrangères et de représentant permanent de la France auprès des Nations-Unies, cet ambassadeur pas comme les autres envisage avec sérénité cette retraite diplomatique.
Il se sent “jeune“, plaisante-t-il. “Quand vous avez 66 ans en France, vous êtes supposé écrire vos mémoires et jouer à la pétanque“, explique-t-il, confiant notamment qu’il devrait débuter une chronique dans un journal mensuel français et poursuivre sa collaboration avec le think-tank Atlantic Council.
S’il ne prévoit pas de partie de pétanque, il a néanmoins déjà écrit ses mémoires, qu’il publiera à l’automne prochain. N’y attendez pas d’anecdotes croustillantes. Il confie qu’il a abordé cet écrit “de manière totalement technocratique”, ne parlant que très peu de lui, mais se focalisant surtout sur “des grands sujets de politique étrangère” et l’élection de Donald Trump. “Son élection est aussi importante que l’élection de Ronald Reagan, car c’est la fin d’une ère néo-libérale, de libre-échange, de confiance dans les marchés”, poursuit-il. Pour lui, c’est un instant historique marqué par “le retour des frontières, le rôle de l’État protectionniste, le retour du nationalisme”.
N’allez pas dire à Gérard Araud, adepte de twitter, qu’il a un style “peu diplomatique”. “Evidemment, on n’est pas ambassadeur en 2019 aux Etats-Unis, comme en Chine au XIIIe siècle”, lance-t-il. Depuis plus de cinq ans, il utilise son compte Twitter comme une arme diplomatique, une méthode qui l’a mené vers des fiertés, mais aussi des regrets. “J’ai commis des erreurs et j’ai voulu expérimenter, il y a des moments où on marche un peu sur la ligne rouge”, explique-t-il, comme son célèbre tweet envoyé le 9 novembre à 2 heures du matin après l’élection de Trump. Il avait écrit: “Après Brexit et cette élection, tout est désormais possible. Un monde s’effondre devant nos yeux. Un vertige.” Il l’efface deux minutes après. “C’est l’exemple d’un tweet que j’aurais pu m’épargner, dit-il. J’avais raison sur le fond, mais j’avais tord dans l’expression”.
Twitter lui a aussi permis de défendre son pays de manière médiatique, pour interpeller l’animateur Trevor Noah après la victoire de l’équipe de France en coupe du monde, par exemple. Lors de son émission de divertissement “The Daily Show”, ce dernier s’est demandé: “Est-ce que l’Afrique vient de remporter la Coupe du monde ?” en se référant à la couleur de peau des joueurs. A travers un communiqué de presse publié sur Twitter en juillet, l’ambassadeur explique à l’animateur que “contrairement aux États-Unis, la France ne se réfère pas à ses citoyens en fonction de leur race, de leur religion ou de leur origine”.
“Je suis fier d’avoir défendu les joueurs de l’équipe de France”, confie-t-il aujourd’hui. Il a refusé l’invitation à se rendre sur le plateau pour un face-à-face. “Je me suis dit que je ne ferai pas le poids face à un comique de son talent et j’ai préféré en rester là”.
Ces deux tweets ne peuvent pas résumer 40 années au service du Quai d’Orsay, dont 14 ans passée sur le sol américain. Pendant cette période, il a connu deux gouvernements très différents. Nommé ambassadeur de France aux Etats-Unis en 2014, il commence son mandat sous l’administration Obama. Un président “méticuleux” qui “faisait fonctionner son administration de manière traditionnelle et relativement facile”, se souvient-il. Les événements ont aussi rapproché les deux hommes. Ils s’entretiendront à l’occasion des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher (quand l’ex-président est venu signer le livre de condoléances de l’Ambassade), puis après les attentats du 13 novembre.
Les relations avec l’administration Trump ont été plus compliquées. C’est “une situation difficile”, estime l’ambassadeur, qui souligne que “deux ans après son élection, une bonne partie des bureaux sont vides, c’est-à-dire que les hauts fonctionnaires n’ont pas été nommés ou s’ils l’ont été, sont partis assez rapidement”.
Quand il réfléchit au moment fort de sa carrière, il n’a aucune hésitation. “La résolution 1973 en 2011”. Il est alors l’ambassadeur de la France auprès des Nations-Unies et vote pour une intervention en Libye. “C’est un moment qui est à la fois est un moment riche, mais c’est un moment aussi d’interrogations”, se rappelle-t-il. “C’est un souvenir excitant, il a fallu que je prenne des décisions personnelles et seul”, confie-t-il, expliquant qu’une fois la décision prise, l’intervention militaire est “toujours un débat ouvert aujourd’hui”. Bonne ou mauvaise décision avec le recul ? L’ambassadeur admet “je ne connais pas la réponse”.