Georges Borchart a accompagné à maintes reprises ses auteurs à des remises de médailles : le Pulitzer, le National Book Awards… Cette fois-ci, c’est lui qui est honoré :
« Ca me fait plaisir. Je n’ai pas l’habitude d’être sur le devant de la scène. Le rôle des agents est plutôt dans les coulisses,” explique l’espiègle Georges Borchardt.
“C’est probablement la première fois car le métier n’existe quasiment pas en France. Plusieurs éditeurs français disaient jusqu’à récemment qu’ils ne liraient même pas un manuscrit présenté par un agent. J’ai fait ce travail toute ma vie et j’ai oeuvré à ce qu’il soit considéré comme un véritable métier, comme la profession d’avocat où personne ne se pose la moindre question sur la valeur de ce travail.»
La vie de Georges Borchardt se lit comme un roman. Né en 1928 à Berlin, il grandit en France. Il perd sa mère et une grande de partie de sa famille déportée dans les camps. Dans la France occupée, l’adolescent se cache pendant deux ans dans un lycée d’Aix-en-Provence. Il débarque à New York après la guerre, ne parlant pas la langue.
« A ce moment-là, l’anglais était enseigné comme le latin. On faisait des thèmes et des versions. Les professeurs ne parlaient jamais la langue. Ils ne voyageaient jamais aux Etats-Unis, quelques-uns peut-être en Angleterre, de sorte que lorsque je suis arrivé, je ne comprenais rien.» Venant d’une France encore soumise au rationnement, ses premiers souvenirs de son arrivée en 1947 sont la profusion de nourriture et la taille des portions.
Livré à lui-même, il passe deux annonces de recherche d’emploi dans le New York Times : “Je n’avais pas grand chose à offrir”, se souvient-il. Il reçoit miraculeusement une réponse d’une agence littéraire :
“Je n’avais aucune idée de ce qu’était un agent.” L’agence est spécialisée dans les auteurs étrangers et venait de vendre les droits d’un jeune auteur français inconnu Albert Camus pour 350 dollars.
Georges vend
En attendant Godot pour 200 dollars à un éditeur américain et fait ainsi entrer Samuel Beckett en Amérique. Il ne tarde pas à avoir des auteurs à lui. Il apporte aussi les
Mémoires de guerre de De Gaulle. Le Général avait mis comme condition que le manuscrit ne soit pas envoyé par la poste mais que les éditeurs se déplacent dans le bureau new-yorkais du jeune agent. Georges raconte:
«Je m’étais installé sur Madison Avenue. L’adresse était magnifique mais il y avait seulement la place pour une petite table avec une machine à écrire. Il ne m’était jamais venu à l’esprit que quelqu’un viendrait m’y voir. J’ai eu la visite de tous les grands éditeurs. J’étais très gêné. La meilleure offre venait d’un éditeur de Boston. Mais le général a décidé de ne pas l’accepter car il ne voulait pas être publié par le même éditeur que Churchill de sorte que c’est Viking qui a publié le premier tome des Mémoires. Je pensais que ça serait mon premier grand succès mais ça ne s’est pas vendu.» Il poursuit :« De Gaulle pour moi c’était très important car comme gosse pendant la guerre, De Gaulle c’était Dieu, c’était le seul espoir. Rencontrer De Gaulle était quelque chose de tout à fait extraordinaire. »
En un demi-siècle, il a contribué à la publication aux Etats-Unis de plus de 2000 traductions du français, introduisant aux Etats-Unis Roland Barthes, Pierre Bourdieu, Marguerite Duras, Frantz Fanon, Michel Foucault, Eugène Ionesco, Jacques Lacan ou Alain Robbe-Grillet…L’agence a aussi établi une liste d’auteurs anglophones: John Ashbery, T.C. Boyle, Jerome Charyn, Robert Coover, Mavis Gallant, Ian McEwan, Claire Messud, Susan Minot, George Steiner… Régulièrement il se replonge dans ses archives à l’occasion de remises de prix pour ses auteurs.
« C’est drôle quand on regarde de vieux dossiers, c’est un peu comme de regarder de vieilles photos. Vous ne vous souvenez pas d’avoir eu le toupet de dire à un auteur qui maintenant est célèbre : « cette phrase est trop longue » ou « ce personnage est ridicule ».
Le pétillant Georges officie toujours. « Je lis tout le temps» explique-t-il. Tandis que sa femme et sa fille lisent sur Sony Reader, lui préfère les manuscrits papier. Il continue à “placer” 30 traductions de livres par an et se réjouit de la parution prochaine aux Etats-Unis du dernier Jean Echenoz et Marie NDiaye.
Photos : Tony Behar
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Cet homme passionnant me donne confiance dans la recherche d’un agent que je fais actuellement. Le connaître serait un privilège. Est-il possible de connaître les coordonnées de son agence, France ou USA ?
Dans l’attente de vous lire,
Bien cordialement.
Ysabel Lorans