En cette chaude matinée du samedi 18 septembre, les corps souffrent sur la pelouse du centre d’entraînement des New York Red Bulls, à Whippany (New Jersey). C’est ici, à une cinquantaine de kilomètres de Manhattan, que le NY Gotham FC s’entraîne depuis l’année dernière. L’équipe de NWSL (championnat féminin américain) a recruté en juin l’internationale française Gaëtane Thiney, arrivée du Paris FC en prêt jusqu’à la fin de la saison.
“J’avais déjà prévu de venir la saison dernière, mais je n’ai pas pu à cause du Covid, alors j’ai reporté à cette année”, explique la milieu de terrain qui compte 163 sélections en Équipe de France pour 58 buts. “J’ai prolongé récemment avec le Paris FC jusqu’en juin 2022, en expliquant que je suis plutôt en fin de carrière qu’au début, et que je souhaitais vivre une nouvelle expérience. C’était aussi une opportunité pour Paris de voir ce qu’il se passe de l’autre côté de l’Atlantique, et pourquoi pas de collaborer avec le club de Gotham. C’était bien pour tout le monde”.
À bientôt 36 ans (NDLR: elle est née le 28 octobre), Gaëtane Thiney a effectué la majeure partie de sa carrière au Paris FC (anciennement FCF Juvisy), un club qui a remporté à six reprises le championnat de France de D1 Arkema. “J’ai vécu une arrivée très positive à New York puisque j’ai enchaîné les matches en tant que titulaire. J’ai même été surprise de jouer aussi rapidement et qu’il y ait autant de matches. L’équipe a joué 11 fois, entre juin et juillet, alors qu’on joue seulement 22 matches pendant toute la saison en France”. La Française née à Troyes a découvert un championnat très différent de ce qu’elle connaît, avec un niveau très resserré entre les équipes et des déplacements éreintants. “Deux semaines après mon arrivée, on allait jouer à Portland à six heures de vol de New York, trois heures de décalage horaire, sur un terrain synthétique et sous 40 degrés”, décrit-elle. “Ça fait partie des choses un peu surréalistes ici, mais que je voulais vivre”.
Après un bon début de saison, le Gotham FC est classé huitième sur dix et reste sur une série de cinq matches sans victoire qui pourrait l’éloigner des playoffs prévus les 6 et 7 novembre. “J’apprends beaucoup mais le jeu est très différent de la France. Aux US, c’est très physique, athlétique et porté vers l’attaque à tout prix. Parfois trop. Moi je suis de formation française où l’on apprend à conserver la balle et faire plus de passes”. Une analyse vérifiée lors d’une opposition à 11 contre 11 pendant notre venue à l’entraînement où Gaëtane Thiney, positionnée entre les lignes en milieu offensive, ne touchera que peu de bons ballons. “Le club cherchait une joueuse de mon profil parce que j’apporte autre chose. Mais c’est dur de mettre tout ça en place en si peu de temps, et je ne peux pas non plus tout révolutionner”.
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Malgré quelques difficultés d’adaptation, l’internationale française prend du plaisir dans sa nouvelle équipe et aux États-Unis où la mentalité est, elle aussi, très différente. “Ce sont de grandes professionnelles qui mettent une énergie folle dans tout ce qu’elles font. Ce positivisme peut être une force, que ce soit dans le football ou dans la société américaine en général”. En revanche, Gaëtane Thiney remarque des lacunes dans la façon de faire, de l’autre côté de l’Atlantique. “Les filles sont toutes très sympas, mais quand on sort de l’entraînement, on ne se voit plus. Il y a moins la volonté de fédérer et de créer de la convivialité autour de l’équipe”.
Si la Française s’intéresse autant à l’aspect culturel du foot aux États-Unis, c’est qu’elle n’est pas venue à New York uniquement dans la peau d’une joueuse. “Je suis conseillère technique nationale pour la DTN depuis 2012 (NDLR: direction technique nationale de la Fédération française de football). J’ai réalisé beaucoup de missions depuis neuf ans, en aidant au développement du foot à l’école par exemple, et en travaillant sur la pratique des jeunes footballeurs et footballeuses avec la création d’outils pédagogiques et didactiques pour les éducateurs”. À New York, son objectif est de “formaliser une vision du foot féminin et masculin aux US, que ce soit aussi bien chez les pros qu’au niveau des académies”, explique-t-elle. “Je fais des rapports réguliers à la FFF sur comment est construit le football ici et sur ce qui pourrait nous intéresser. Je découvre le système universitaire, les clubs professionnels, le scouting aux Red Bulls, et je suis de l’intérieur le fonctionnement de la NWSL”.
Gaëtane Thiney a également visité récemment l’académie new-yorkaise lancée par la FFF en 2019, qui vient d’annoncer l’ouverture de deux nouvelles structures à Santa Cruz (Californie) et Montréal (Canada). “L’objectif de la FFF est de développer l’image de l’Equipe de France masculine en Amérique du Nord qui accueillera avec le Mexique la Coupe du monde en 2026. On a besoin pour cela d’ouvrir et de développer un réseau sur place, par rapport à tout ce qu’on veut faire”, expose-t-elle. “L’idée est aussi de savoir comment la FFF pourrait aider au développement du foot aux US. Nous avons des grandes forces comme la formation des coaches, la qualité des entraînements et la tactique”.
À la fin de son prêt à New York, Gaëtane Thiney sera “heureuse” de retrouver son pays et le Paris FC, avec qui elle pourra rejouer à partir de janvier 2022. “Le Gotham FC est un club qui cherche encore son identité. Il a d’abord changé de nom en mai (NDLR: anciennement Sky Blue FC), puis de directrice générale en juillet et ensuite d’entraîneur fin août… Tout le monde est un peu à la recherche de sa place, même les joueuses”, raconte-t-elle. “À l’inverse, j’ai un tel ancrage à Paris depuis longtemps, que c’est un moteur pour moi. Et puis j’ai passé un contrat oral avec mes coéquipières en leur promettant de revenir jouer avec elles”, ajoute la milieu de terrain, un large sourire au visage.
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Avec 163 sélections, Gaëtane Thiney est la sixième joueuse la plus capée de l’histoire de l’Équipe de France. Si elle a participé à la Coupe du monde en France en 2019, où les Bleues se sont inclinées face aux États-Unis en quart de finale, elle n’a jamais été rappelée depuis par la sélectionneuse Corinne Diacre. “Est-ce que j’ai fait une croix sur l’Équipe de France? Non, j’ai fait une croix sur la logique de Diacre”, lâche-t-elle. “J’ai une position délicate car je bosse à la FFF et je ne peux pas dire tout ce que je pense… Mais il n’y a aucune logique dans ce qui est fait depuis longtemps. Moi, j’ai vécu l’Equipe de France que j’avais envie de vivre, et elle était extraordinaire. Celle qui se fait maintenant fait plus de mal qu’autre chose”.
En poste depuis 2017, Corinne Diacre a été très critiquée ces derniers mois par ses propres joueuses pour ses choix et son management autoritaire. Elle s’est mise à dos plusieurs cadres du vestiaire comme la gardienne Sarah Bouhaddi (149 sélections), qui s’est mise en retrait des Bleues depuis juillet 2020, la milieu de terrain Amandine Henry (93 sélections), non sélectionnée le 9 septembre pour les qualifications à la Coupe du Monde 2023, au même titre qu’Eugénie Le Sommer (175 sélections), attaquante historique de la sélection. “Corinne Diacre a également retiré le brassard à Wendy (Renard) avant de lui remettre ces jours-ci… Non vraiment, si quelqu’un peut m’expliquer car je ne comprends plus rien. Enfin si, ce que je comprends, c’est qu’il y a maintenant beaucoup d’argent dans le foot féminin et probablement des salaires très confortables à se faire. Il s’agit donc de tout faire pour garder sa place, coûte que coûte, le plus longtemps possible et peu importe les moyens”. L’intéressée appréciera.
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