Il n’y avait pas meilleur endroit pour lancer une initiative en faveur de la langue française. Depuis la Nouvelle-Orléans en Louisiane, l’État américain le plus lié à la France par son histoire, Emmanuel Macron a annoncé, vendredi 2 décembre, la création d’un nouveau fonds baptisé French for All (le français pour tous) en faveur de l’enseignement du français aux États-Unis. Un fonds financé uniquement par des dons privés et for all car tous les niveaux d’apprentissage sont visés, de la maternelle à l’université, ainsi que tous les établissements américains qui désirent proposer à leur élèves ce type d’apprentissage linguistique mais qui n’en ont pas les moyens.
« En 2017, on a fait une grande initiative pour le français, French Dual Language Fund… (pause, sourire) bien nommé », s’est amusé le chef de l’État, s’étonnant que les noms de programmes en faveur de la langue français aux États-Unis soient en anglais – déclenchant quelques rires dans la salle du New Orleans Museum of Art (NOMA). Un fonds destiné à développer les filières francophones dans les écoles publiques américaines. Cinq ans plus tard, ce sont près de 35 000 élèves inscrits dans 29 États. « Une formidable réussite » s’est félicité Emmanuel Macron qui dit souhaiter « aller plus loin » en rendant l’enseignement du français « plus accessible à tous ». Avec (seulement) 1,5 million de dollars récoltés en 5 ans, l’apport financier du French Dual Language Fund n’explique peut-être pas, à lui seul, la « formidable réussite »…
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— Élysée (@Elysee) December 2, 2022
French Dual Language Fund est désormais chapeauté par French for All avec trois autres fonds : le French Heritage Language Program, le French in Higher Education et le New Pathways to Teaching French.
Le French Heritage Language Program, créé en 2005 pour New York et axé sur les cultures d’Afrique de l’Ouest et des Caraïbes, est destiné aux immigrants francophones et aux jeunes d’origine francophone afin de les aider à maintenir leur héritage linguistique et culturel – via les cours d’AP dans les écoles publiques américaines, la préparation à l’université et des programmes artistiques. « Nous avons des demandes qui émergent d’un peu partout, précise Mathieu Ausseil, attaché éducatif et chef du service des Affaires éducatives à l’ambassade de France à Washington. Avec un financement adéquat, nous pourrions le déployer facilement dans 10 villes ». Rien qu’à New York, 4000 élèves déclarent le français comme une langue parlée à la maison;
Le French in Higher Education est lui destiné à l’enseignement supérieur. Ce fonds permet de soutenir les départements de français dans les universités alors que ces derniers ont de plus en plus de mal à survivre. Lancé cette année avec des reliquats de dons (100 000 dollars ont déjà été distribués à 12 universités), l’appel de fonds démarre en même temps qu’un nouveau programme visant à faciliter les stages professionnels en France pour les étudiants.
Enfin la dernière née des initiatives, New Pathways to Teaching French, doit répondre à un besoin urgent : la formation d’« une nouvelle génération de professeurs de français », comme l’a précisé Emmanuel Macron, et remédier à la pénurie d’enseignants. Deux programmes sont prévus : l’un est destiné aux Américains francophones et s’appuiera sur celui des assistants de langue, le Teaching Assistant Program in France (TAPIF) qui permet à environ 1500 Américains de partir chaque année en France. « Quand on fait un sondage, 30% d’entre-eux disent qu’ils aimeraient faire une carrière dans l’enseignement du français par la suite, mais beaucoup abandonnent », reconnaît Mathieu Ausseil, faute d’équivalence de leur diplôme de retour aux États-Unis. Ce qui devrait donc changer avec la reconnaissance d’un diplôme universitaire (DU) français par des universités américaines à la rentrée 2023. L’autre programme vise les Francophones aux États-Unis – y compris donc les expatriés français – et consiste en une formation en ligne de 60 heures (gratuites), d’une valeur de 3 crédits universitaires, reconnue à terme par des boards of education afin de remplir des postes vacants de professeurs de français.
Quatre initiatives en tout donc qui se trouvent désormais réunies sous un seul nom, « ce qui apporte plus de clarté pour les donateurs », explique Fabrice Jaumont, attaché éducatif aux services culturels de l’ambassade de France et auteur des podcasts Révolution bilingue sur French Morning. « Si c’est trop éparpillé, les gens ont du mal à s’y retrouver ». Car French for All est uniquement financé par des acteurs privés : mécènes, entreprises, particuliers, la présidence française n’apportant que son parrainage. « Notre objectif, à terme est d’avoir un million de dollars à dépenser chaque année pour l’ensemble des programmes », détaille Mathieu Ausseil. Plusieurs mécènes et entreprises ont déjà donné de quoi assurer les deux premières années de French For All : Chanel, Alfred & Jane Ross Foundation, la Société Générale, la Fondation Jeannine Manuel, Hubert Joly (ancien patron de Best Buy) et la Joly Family Foundation et la John & Cynthia Reed Foundation – Emmanuel Macron a tenu à les citer à la Nouvelle-Orleans.
Cette levée de fonds est organisée par l’ambassade et les services culturels. Le député des Français d’Amérique du Nord compte également participer à l’effort de levée de fonds en organisant des évènements de fundraising. « L’enjeu peut intéresser les Américains car c’est un projet éducatif et portant sur la diversité », estime Christopher Weissberg, convaincu qu’il faut également davantage intéresser les Français à ces programmes bilingues gratuits dans les écoles publiques américaines.
La plus grande difficulté pour les fundraisers reste la taille du pays : difficile d’être présent partout pour apporter financements et professeurs formés aux besoins locaux. Rien que pour les filières bilingues, c’est 90 villes réparties dans 33 États. « Ce pays nous oblige à innover et à sortir de notre vision centralisée, estime Fabrice Jaumont, auteur du livre « French All Around Us » sur la francophonie aux États-Unis. Car ce sont différents modèles ici et là : il est question d’héritage du français ici, des after schools ailleurs, des nouvelles vagues d’immigration à d’autres endroits » comme les communautés congolaise dans le Maine, sénégalaise à Milwaukee ou encore haïtienne à Miami.
En Louisiane, l’annonce faite par Emmanuel Macron est perçue comme une « étape importante » par les médias locaux. L’État, qui s’est doté depuis longtemps d’une agence, le Conseil pour le développement du français en Louisiane (Codofil), gère aujourd’hui 26 programmes d’immersion du français et entend en développer d’autres. Les projets ne manquent pas pour les cinq prochaines années. Jamais la France n’avait lancé une initiative aussi ambitieuse pour le développement de la langue française aux États-Unis.