Dans les locaux d’Atari, qui surplombent Park Avenue South, à New York, Frédéric Chesnais a choisi d’installer son bureau dans la salle de conférence. C’est là, devant un grand tableau blanc recouvert de chiffres, que le PDG au tutoiement facile nous reçoit. “Atari est une vraie marque, glisse le Français, une marque qui fait rêver, qui rappelle de bons souvenirs à tout le monde” .
1972. Atari sort “Pong”, une partie de ping pong virtuelle sur borne d’arcade qui devient l’un des premiers jeux vidéo de l’histoire. A l’époque, son créateur Nolan Bushnell voulait concevoir un jeu si simple que “même les gens bourrés pourraient y jouer dans les bars” . La borne est un succès commercial. Cinq ans plus tard, Atari est l’une des premières marques à proposer, avec son Atari 2600, une console de jeu pour le grand public.
Mais dans les décennies qui viendront, l’éditeur de jeux fera face à une concurrence croissante dans un marché en plein boom. L’entreprise est découpée, renommée, fragmentée et accumule les difficultés financières. En 2001, elle est rachetée par le groupe français Infogrames (alors dirigé par Bruno Bonnell), qui adpote alors le nom d’Atari. Mais les difficultés financières ne vont pas cesser et en janvier 2013, endettée, la maison-mère française dépose le bilan et ses filiales américaines se placent sous la protection du “Chapter 11” qui régit le droit des faillites aux Etats-Unis. Le cours en bourse est suspendu. Le fonds britannique, BlueBay, qui était entré au capital d’Atari, jette l’éponge.
En février 2013, Frédéric Chesnais, adepte de “Driver” et de jeux “post-apocalyptiques” rachète les parts de BlueBay via sa holding Ker Ventures. Il devient le directeur général d’Atari et président du conseil d’administration de l’entreprise, qu’il connait bien. Il y avait travaillé entre 2001 et 2007, sous Bruno Bonnell. En 2007, il est parti diriger la société de production de jeux Microprose, connu pour son jeu de simulation sportive “Jillian Michaels: Fitness Ultimatum” pour Wii.
Il n’a “pas hésité une seconde” à revenir chez Atari, dit-il, malgré un salaire mensuel ramené à 1.000 dollars. “Il y avait le challenge de montrer qu’on pouvait faire mieux, mais aussi le potentiel de la marque, qui restait sous exploitée. Il y avait l’opportunité de produits intéressants” .
La voilure est réduite. Exit les grandes équipes de “2.000 salariés” de l’Atari d’antan, Frédéric Chesnais travaille avec “moins de 20 personnes” dans ses locaux de Manhattan et externalise les activités de production. Il se positionne sur le marché des jeux de fitness et de casino virtuel en sortant plusieurs applications pour mobile et des plateformes de jeux. “On était dans une situation de faillite aux Etats-Unis. On a mis un an pour en sortir. Ce qui m’intéresse, c’est de recréer des jeux. C’est ce qui me fait lever le matin. ”
Atari est-il sorti d’affaire? La société vient d’annoncer un chiffre d’affaires de 7,6 millions de dollars (5,8 millions d’euros) sur les neuf premiers mois de l’exercice 2014/2015 (qui sera clos le 31 mars 2015). Une forte progression par rapport aux 2,3 millions de dollars enregistrés sur la même période de l’année précédente qui s’explique par les bonnes ventes de plusieurs jeux sur mobile et d’arcade.
Frédéric Chesnais parie sur la sortie en ligne prochaine d’anciens jeux (“RollerCoaster Tycoon”, “Alone in the Dark”, “Asteroids”) pour renforcer ces bons chiffres. Début 2015, Atari sortira “Pridefest”, un jeu pour tablettes et mobile tourné vers la communauté LGBT dans lequel on pourra créer sa propre “marche des fiertés” dans la ville de son choix.
“On a encore plein de territoires dans lesquels les consoles ne sont pas introduites, où les téléphones ne sont pas à la hauteur de ce qu’on peut trouver aux Etats-Unis. On a encore des bonds technologiques à faire, mais surtout, on a toute une frange de la population qui ne joue pas. Au- delà de 40 ans, il y a un grand vide, surtout chez les hommes. C’est une question de génération. ”
“On continue de travailler. Les premiers jeux vont ressortir. Ça prend du temps, poursuit le PDG. Quand on voit le jeu pour la première fois, on se dit: ‘zut! Est-ce qu’il ne faudrait pas ajouter ça, ça et ça pour avoir vraiment çe qu’on voulait!’ Je l’ai toujours dit: ce n’est pas un exercice à deux ans, mais à sept ans” . La marque est, en tout cas, déjà rentrée au musée: certains de ses jeux mythiques étaient au MoMA pour l’exposition “A collection of ideas” .