Sans cette Française expatriée il y a plus de trente ans à New York, la bande dessinée aux Etats-Unis n’aurait peut-être jamais atteint son degré de créativité débridée. Elle s’appelle Françoise Mouly et chaque semaine, des milliers d’Américains se délectent sans le savoir de sa patte élégante en découvrant la couverture du New Yorker. Directrice artistique du prestigieux magazine depuis 1993, elle se lance aujourd’hui dans un nouveau défi : Toon Books, une collection de bandes dessinées en anglais à destination des 4-6 ans.
Débarquée en 1974 à dix-neuf ans dans les rues de New York pour fuir des études «frustrantes» aux Beaux-Arts de Paris, elle n’est jamais repartie. «La bande dessinée a influencé toute ma vie. Arrivée ici, je me suis rendu compte que je ne comprenais pas un mot d’américain. Je voulais lire des BD, pensant que ce serait une bonne façon d’apprendre davantage de vocabulaire. Mais il était impossible d’en trouver chez les marchands de journaux ou en librairie. Heureusement pour moi, mes amis connaissaient la seule personne qui faisait de la bande dessinée aux Etats-Unis, Art Spiegelman».
Celui qui deviendra plus tard l’auteur du monumental Maus –récit graphique tiré des souvenirs de son père, déporté à Auschwitz– dirige alors Arcade, un magazine de comics underground. Ils se rencontrent à New York, tombent amoureux. Puis en 1980, ils inventent ensemble RAW, première revue américaine à tirer l’art graphique de sa niche sulfureuse en rassemblant des auteurs du monde entier. Car tandis qu’en France règnent Pilote ou Charlie Hebdo, aux Etats-Unis, hors des super-héros de Marvel ou DC Comics, la bande dessinée pour adultes est persona non grata. Pas étonnant si l’on se souvient qu’en 1954, le Congrès organisait des débats sur le lien entre comics et délinquance juvénile… «Avec RAW, notre but était alors de légitimer la bande dessinée, de montrer qu’il s’agissait d’un medium capable produire des œuvres d’art et de littérature.» Dans la revue, qu’ils impriment et distribuent eux-mêmes, Tardi, Loustal ou Joost Swarte côtoient Robert Crumb, Chris Ware, Kaz et Julie Doucet.
«La situation actuelle est paradoxale, juge-t-elle aujourd’hui. La BD est prise au sérieux, étudiée à l’université. Mais entre temps, les enfants ont été oubliés. Il n’y a pas eu d’éditeurs pour la jeunesse.» Un vide qu’elle combla d’abord en créant avec Art Spiegelman Little Lit, recueil de comics pour enfants. Elle poursuit l’aventure éditoriale en lançant Toon Books, une collection de bandes dessinées destinée à apprendre à lire aux 4-6 ans : «Avec la bande dessinée, on peut leur donner une version structurée d’un narratif visuel, en y incorporant des mots et en déclinant toutes les autres dimensions du contenu, ce qui est beaucoup plus facile à lire pour eux qu’un texte isolé. En visitant des écoles, avec l’aide de professeurs et d’une psychologue, j’ai redécouvert l’essence d’une histoire, comment la raconter, choisir un vocabulaire approprié aux enfants pour être sûr que la lecture est fluide.» Trois titres doivent sortir début avril dont l’immarcescible Mimi Cracra, devenue Silly Lilly d’Agnès Rosensthiehl.
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La jeune et talentueuse Américaine,Lilah Toland, dans les années 70 étaient aux Beaux-Arts à Paris. Elle connaissait peut-être Françoise Mouly.
Retournée aux USA, elle animait des ateliers d’ART THERAPY. Elle vivait avec un écrivain américain rencontré à New York. Qu’est-elle devenue?
Annie Jourdain
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