Les syndicats français l’adorent. Elle revient en odeur de sainteté aux Etats-Unis. La grève est utilisée des deux côtés de l’Atlantique pour faire pression sur les employeurs ou le gouvernement. Comment les deux pays l’utilisent-ils ? Les travailleurs américains sont-ils aussi peu adeptes des grèves qu’on le dit ? On a regardé les chiffres et les pratiques.
Oui, les Américains font grève. Et de plus en plus.
Les Français sont tentés de penser que les Américains ne se mettent jamais en grève et ne se syndiquent pas. C’est faux. Les taux de syndicalisation sont comparables dans les deux pays: environ 11%, en fort recul depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale. Côté grève, aussi. Ragaillardis par la bonne santé de l’économie et leur bonne image dans l’opinion publique, les syndicats américains y ont de plus en plus recours. En 2018, il y a eu vingt « interruptions du travail » (grèves et fermetures temporaires d’entreprises décidées par la direction en anticipation d’une grève) impliquant plus de 1 000 personnes, contre 7 en 2017, selon le Bureau of Labor Statistics. Un record depuis 1987. Au total, en 2018 les grèves aux Etats-Unis ont concerné quelque 487 000 travailleurs. Ce seuil devrait être dépassé en 2019. L’actualité sociale de cette année a notamment été marquée par la grève des 50 000 salariés du géant de l’automobile General Motors. Cela faisait douze ans que l’entreprise n’avait pas connu un mouvement de cette ampleur.
Le service public américain est plus syndiqué, mais…
Cela ne veut pas dire que les Américains sont soudainement devenus des grévistes en puissance. Vingt est bien loin des 470 “interruptions de travail” de l’année 1952 aux Etats-Unis. Si le nombre de travailleurs américains syndiqués dans le public est plus élevé aux Etats-Unis qu’en France (33,9% contre 19%), les grèves du secteur public américain sont plus rares.
Et c’est normal. Comme le note le Pew Research Center, seul onze Etats reconnaissent formellement le droit de grève des fonctionnaires. “Dans les 39 autres, les grèves du secteur public sont illégales, même si elles se produisent de manière occasionnelle. Les inquiétudes liées aux grèves ont longtemps été utilisées pour décourager les fonctionnaires de former des syndicats et d’obtenir des droits de négociation collective“. Selon le Pew, ces restrictions proviennent notamment du spectre de la grève des policiers de Boston en 1919, dont la décision de stopper le travail pour protester contre une interdiction de devenir membre de syndicats avait provoqué une hausse de la criminalité dans la ville. Ronald Reagan avait évoqué cet épisode quand il avait écrasé le mouvement de grogne des plus de 11.000 aiguilleurs du ciel en 1981, une page noire dans d’histoire du syndicalisme américain.
Le sentiment d’être “pris en otage” en France
Dans un pays centralisé comme la France, les mouvements de grève générale dans le public (enseignants, transports…), comme ceux auxquels on assiste depuis le 5 décembre au sujet de la réforme des retraites, ont un pouvoir de nuisance plus fort qu’aux Etats-Unis, où les grèves ne paralysent pas le pays. Si les grèves générales ont éclaté dans plusieurs villes américaines au début du XXème siècle, dont Seattle en 1919, elles ont progressivement disparu du paysage en raison de restrictions adoptées dans les années 40, note le magazine de gauche The Nation.
Un autre facteur obère la force de frappe des syndicats américains: le fait que ces derniers s’organisent au niveau de chaque entreprise et négocient à cette échelle (et non à celle de la branche ou du secteur d’activité). Ce système conduit les dirigeants d’entreprises à recourir à des techniques ingénieuses pour dissuader les employés de rejoindre un syndicat voire d’empêcher leur création. Le site d’information Vox explique que “la plupart des pays européens (…) ont trouvé une manière de contourner cela. Les syndicats ne négocient pas seulement au niveau de l’entreprise, mais aussi au niveau de la branche, oeuvrant ainsi pour tous les travailleurs d’un secteur plutôt qu’une entreprise seule, explique Vox. Puisque toute entreprise, quel que soit le nombre de syndiqués, doit respecter la même accord, elles sont moins incitées à décourager” la syndicalisation.