“On peut arrêter les messagers mais on n’arrêtera pas les messages”, résume Laurent Richard, fondateur de la plateforme Forbidden Stories, lancée ce mardi 31 octobre à Washington. Après plus d’un an de travail, ce journaliste français de l’agence d’investigation Premières Lignes a traversé l’Atlantique pour inaugurer son nouveau projet : un site collaboratif pour sécuriser les données sensibles des journalistes menacés dans le monde.
Concrètement, le site Forbidden Stories, créé en partenariat avec Reporters Sans Frontières (RSF) et l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ), permet aux journalistes qui se sentent en danger de déposer leurs informations sur une plateforme sécurisée, via une technologie de pointe pour chiffrer les messages.
“Ils peuvent déposer des éléments de leur enquête et surtout, donner leurs instructions ‘au cas où’ : s’il leur arrive quoi que ce soit, qui doit-on contacter ? Quelles informations doit-on publier ? Sur quel support ?”, précise Laurent Richard. “Le journaliste a ensuite la possibilité de déclarer publiquement que ses informations sont sécurisées, ce qui peut dissuader les personnes qui le menacent”.
C’est dans de tragiques circonstances que l’idée de cette plateforme est née. “Premières Lignes partageait les locaux de Charlie Hebdo lorsque la rédaction a été attaquée en 2015. Je suis arrivé juste après la fusillade”, raconte-t-il dans l’une des salles de conférence du symbolique Newseum, le musée de la presse à Washington. “J’ai aussi réalisé une enquête en Azerbaïdjan qui a conduit à mon arrestation. Ces événements m’ont montré la fragilité de la liberté de la presse”.
Les premières “histoires” dévoilées par Forbidden Stories parlent d’elles-mêmes : celle de Cecilio Pineda, assassiné le jeudi 2 mars, deux heures après avoir posté une vidéo sur Facebook révélant des liens intimes entre le chef d’un gang mexicain et le législateur local. Ou encore celle de Javier Valdez, abattu lundi 15 mai pour avoir interviewé l’un des prétendants à la succession de Joaquin “El Chapo” Guzman à la tête d’un puissant cartel mexicain, alors que les hommes de main du réseau tentaient d’empêcher la publication de l’article quelques semaines plus tôt.
Avec l’appui du réseau de RSF, l’équipe de trois personnes basées à Paris mise sur la viralité de ces “histoires interdites” par les réseaux sociaux. “Nous avons déjà traduit les premières vidéos dans les neuf langues les plus parlées au monde”, poursuit le fondateur. Alors que “90% des crimes contre les journalistes se font en toute impunité”, Richard Laurent compte aujourd’hui “finir ces histoires” et “les garder en vie”.