« J’étais en négociation avec un cadre haut placé des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon, Ndlr). Il semblait hyper intéressé par ma start-up. Il a voulu que l’on se voit dans le cadre privé, autour d’un verre. Quand j’ai refusé, il n’a plus jamais donné suite à nos échanges professionnels ». Elisabeth Mouchy, co-fondatrice de Daylighted, sait qu’elle n’est pas la seule à avoir vécu ce type de mésaventure.
Pour beaucoup d’autres, la situation va plus loin. Selon le Trades Union Congress, 52 % des femmes et 10 % des hommes ont subi du harcèlement sexuel au travail. « Il fallait faire quelque chose ! Nous avons décidé d’utiliser le pouvoir de la tech pour résoudre ce problème sociétal ». Derrière ce “nous”, se cachent trois autres Français installés à San Francisco : Sarah Burgaud, directrice des opérations d’INCO aux Etats-Unis, Baptiste Manson et Vincent Desmares, co-fondateurs respectifs de Matters et de Teamstarters. En unissant leurs compétences, ils ont mis sur pied nomoreinstances.org.
Baptisée Instances, la plateforme confidentielle permet de signaler et de recenser des cas de harcèlements sexuels au travail. Une fois sur le site, la victime ou une tierce personne renseigne le nom de l’agresseur, le nom de l’entreprise et raconte les faits en 60 caractères minimum. « Ces informations restent stockées anonymement et de façon sécurisée dans notre base de données, assure Elisabeth Mouchy. Notre équipe de développement a veillé à bien respecter la confidentialité. »
L’utilisateur a également la possibilité de donner un numéro de téléphone, ce qui permet à Instances de notifier la victime dès lors que l’agresseur est mentionné à plus de trois reprises. « Nous ne voulons pas tomber dans la diffamation », souligne l’entrepreneur. Car dans les cas où les faits ne sont pas avérés, « poster un nom publiquement peut avoir des conséquences catastrophiques pour la carrière de la personne incriminée. C’est en cela qu’Instance se distingue des initiatives contre le harcèlement sexuel telles que #MeToo et #BalanceTonPorc ».
À travers cette plateforme, l’objectif est de « dire aux victimes qu’elles ne sont pas toutes seules et de leur donner les ressources pour lancer une procédure légale », ajoute Elisabeth Mouchy, tout en précisant que dans les cas d’un harcèlement sexuel sur le lieu de travail, c’est l’employeur qui est responsable.
Dans un contexte pollué par de multiples scandales sexistes, Elisabeth Mouchy insiste sur le fait que cette initiative n’a pas vocation à alimenter une quelconque guerre des sexes. « Nous ne voulons pas que ce soit une plateforme réservée aux femmes. Des hommes sont aussi victimes, raconte-t-elle. Ce n’est pas la drague en entreprise qu’il faut interdire, ce sont les relations non-consenties. Même si la frontière est parfois mince… »