Interdit en 2012, autorisé en 2015, puis à nouveau suspendu et restauré en 2017, avant d’être prohibé en 2019. Après de multiples rebondissements, la Cour Suprême des Etats-Unis a réglé le sort du foie gras en Californie, le 7 janvier. La loi de 2004 interdisant la vente de produits “issus du gavage d’une volaille dans le but d’agrandir son foie” reste en vigueur dans le Golden State.
Malgré ce coup dur, les opposants à cette loi refusent de baisser les bras. “Nous retournons en première instance pour demander une injonction, afin de suspendre l’application de la loi”, précise Benoît Cuchet, vice-président de l’Association des éleveurs de canards et d’oies du Québec (AECOQ) qui est l’un des artisans de cette longue bataille judiciaire, avec le producteur Hudson Valley Foie Gras et du chef de Hot’s Kitchen (aujourd’hui fermé), Sean Chaney. Il précise que la Californie représente 20% des ventes de foie gras aux Etats-Unis.
Si l’injonction est rejetée -ils auront une réponse d’ici 30 jours-, ils prévoient d’autres angles d’attaque. “Après avoir attaqué un point technique du règlement de l’USDA (Département de l’Agriculture des États-Unis), du fait qu’un Etat n’a pas le droit d’imposer une loi aussi restrictive, on pourrait partir sur un angle plus constitutionnel, en défendant la libre circulation des marchandises”, ajoute-t-il, estimant que c’est un “combat important, une question de liberté”.
“On n’oblige personne à manger du foie gras, mais le mode de production est validé par les vétérinaires et les scientifiques”, ajoute-t-il, optimiste. En attendant, l’association québécoise va devoir arrêter de travailler avec “un ou deux producteurs de foie gras”. Quant à certains distributeurs californiens, qui ont encore beaucoup de stocks à écouler, ils vont les acheminer vers d’autres Etats, grâce aux relations de l’AECOQ.
Un marché noir “anecdotique”
Une situation qui n’est pas sans rappeler la précédente période de “prohibition”, en 2014, qui avait entraîné l’essor d’un marché noir de ce produit de luxe. Mais cette fois, la résistance s’annonce “minime”. Le restaurateur de Belle Vie à Los Angeles, Vincent Samarco, grand pourfendeur de ce terroir qu’il mettait volontiers au menu, va devoir s’en passer : “on ne peut pas se permettre de payer une amende de 1.000 dollars pour un produit que l’on vend 28 dollars.”
“C’est comme pour le Ricard : je n’ai pas la licence, je n’en vends pas sous le bar. Le jeu n’en vaut pas la chandelle”, confirme Laurent Vrignaud, fondateur du traiteur Moulin à Newport Beach. Entre novembre et décembre 2018, il en a fabriqué une cinquantaine de kilogrammes. “On va devoir manger les derniers pots nous-mêmes”, avoue-t-il, sans s’en plaindre. Des restaurateurs californiens ont toutefois pensé à des alternatives, comme proposer un verre de vin à 50 dollars, qui s’accompagnerait d’une assiette de foie gras offerte. La radio NPR a également relevé que les clients pourraient apporter eux-mêmes cette spécialité culinaire au restaurant et payer un supplément, équivalent au droit de bouchon déboursé par ceux qui viennent avec leur propre bouteille de vin.
Comme les Français qui achètent des cigarettes en Espagne, les Californiens peuvent aussi se procurer leur foie gras dans les Etats voisins du Nevada, de l’Oregon ou de l’Arizona. “Quelques restaurateurs de Las Vegas nous disent qu’ils ont davantage de demandes de foie gras, mais cela reste anecdotique”, explique Benoît Cuchet.
La consommation personnelle va également être compromise, regrette Ariane Daquin, à la tête de la société D’Artagnan. “Même si la loi l’autorise et que notre commerce est dans le New Jersey, nos avocats nous ont déconseillé de vendre aux particuliers en Californie car cela pourrait permettre aux membres de PETA (association de protection des animaux, ndr) de nous faire un procès”, argumente cette militante du foie gras. Pour elle, les ventes de foie gras n’ont représenté que 5% de son chiffre d’affaires de 125 millions de dollars l’an dernier. Mais elle voit plus loin : “c’est un pas vers la dictature des extrémistes vegan.”
La célèbre chef de San Francisco, Dominique Crenn, qui utilisait un peu de foie gras au bar Crenn, regrette aussi un combat injuste. “Il faudrait que PETA fasse mieux son travail: au lieu de s’attaquer uniquement aux petits producteurs de canards, on devrait aussi se pencher sur ce qui se passe dans la production industrielle de poulets et de porcs.”