Le ciel obscurci par une couverture de fumée jaunâtre, une odeur âcre de brûlé, la gorge qui pique…Depuis la mi-août, la Californie est en proie à des incendies violents qui ont déjà ravagés plus d’1,7 million d’hectares. Au nord de San Francisco, le Glass Fire est le dernier en date : il a éclaté dans la Napa Valley le dimanche 27 septembre et a déjà détruit 293 maisons. Parmi elles, celle de Denis Jaquenoud, un Suisse francophone originaire de Lausanne, et installé depuis six ans dans la région. “Il reste une cheminée, le reste est rasé. Nous avions laissé une voiture devant la maison, elle a littéralement fondu, en raison de la chaleur très intense du feu.” Ce professionnel du vin et de l’hospitalité a encore du mal à réaliser ce qu’il vient de subir, après plusieurs alertes sans conséquence depuis le mois d’août : “Le lundi matin, mon épouse s’est levée vers 5am en disant qu’elle sentait une odeur de fumée dans la maison. A 8am, on a reçu les messages d’alerte nous conseillant d’évacuer la zone où nous nous trouvions. Heureusement, on peut compter sur l’entraide de la communauté locale : un ami que nous avions hébergé pendant les incendies de 2017 et 2018 nous a proposé de nous accueillir.”
Le week-end précédent, Denis Jaquenoud avait finalement vidé les valises de son évacuation du mois d’août, sans se douter qu’elles serviraient une semaine plus tard : “On s’est dit que c’était à nouveau une évacuation de prévention, on ne se faisait pas vraiment de souci. Mais dans la nuit de dimanche à lundi, les vents ont tourné, il faisait très sec, et le feu s’est propagé jusqu’à notre quartier.” Le matin suivant, la nouvelle tombe : Meadowood, l’hôtel de luxe situé à proximité de la maison de Denis Jaquenoud, a partiellement brûlé, ainsi que quelques maisons. La zone est interdite d’accès, difficile alors d’identifier avec certitude qui a été touché. Malheureusement, la confirmation est intervenue le lundi soir.
Encore sous le choc de la nouvelle, Denis Jaquenoud ne peut que faire un bilan amer de 2020 : la destruction de sa maison s’ajoute à une année difficile pour la Napa Valley, affectée par l’épidémie de COVID, puis par les incendies, deux facteurs qui ont largement ralenti le tourisme, et qui auront des conséquences sur les récoltes. “Le feu fait partie du cycle naturel de la nature, mais on se demande si on est en train de vivre ce cycle, ou si les incendies annuels vont devenir la norme. Le climat change, c’est clair“, constate Denis Jaquenoud. “Certains ont décidé de faire les vendanges en avance, pour éviter trop de dégâts sur les vignes, d’autres ont préféré attendre. La fumée ou des chaleurs trop intenses peuvent nécessiter qu’on replante un vignoble. Celui-ci mettra ensuite sept à dix ans avant de produire un bon vin.” Il se console toutefois grâce aux bons chiffres de vente de bouteilles enregistrés pendant le confinement, et une récolte plutôt bonne. Consacrer 14 heures par jour à s’assurer que les hôtels et domaines dont il a la charge traversent le mieux possible ces épreuves est aussi une bonne manière de s’occuper l’esprit.
Sur le plan personnel, Denis Jaquenoud essaie de voir le positif de la situation : “Quand nous avions déménagé de New York à Napa, nous rêvions d’une maison qui domine la vallée…Ce rêve est parti en fumée, et nous ne choisirons plus une maison en hauteur sur une colline boisée…Quand on vit à l’étranger, c’est difficile de construire ses racines. Pour nous, cet incendie est quelque part une “chance” de reconstruire quelque chose…”