Pour trouver la ville de Felicity, à la sortie de l’autoroute 8, suivez le panneau « Centre Officiel du Monde ». D’emblée, le ton est donné. Au bout d’une route accidentée, perdue au fin fond du désert californien, à la frontière de l’Arizona et du Mexique, Felicity apparaît.
Perchée sur une colline, son église d’une blancheur étincelante est la première chose qui attire le regard. «Il a fallu déplacer 150 000 tonnes de terre pour surélever l’église et en faire le plus haut point de la ville», explique en nous accueillant Felicia, la femme du maire de la ville, Jacques-André Istel.
Le couple a fondé Felicity il y a près de 30 ans, en 1986. « A l’époque, je venais juste de vendre ma compagnie de parachutes. J’avais envie d’acheter des terres et de créer ma propre petite ville dans le désert, comme une sorte de défi» explique Istel en nous faisant faire le tour du propriétaire de ce domaine d’environ 1100 hectares.
Né à Paris en 1929, le maire de Felicity émigre 11 ans plus tard, à New York, fuyant le nazisme avec une partie de sa famille d’origine juive. « Mon père qui était l’un des proches conseillers du général de Gaulle, est parvenu à nous envoyer Outre-Atlantique avec des passeports diplomatiques » raconte-t-il.
Après des études d’économie à Princeton, puis un bref passage par Wall Street, Istel sert dans le corps des Marines de l’armée américaine pendant la guerre de Corée. Passionné de parachutisme, il créé par la suite sa propre compagnie de fabrication de parachutes et ouvre la première école privée de parachutisme aux Etats-Unis, en 1959.
L’histoire de l’Humanité gravée dans le granit
En plus de l’église, d’un lotissement où réside le couple et d’un bureau de poste, la ville abrite en son centre un musée éducatif dédié à l’histoire de l’Humanité, gravée dans plusieurs longues colonnes de granit, découpées en 62 panneaux. « Chaque colonne est dédiée à une région, une histoire particulière : ici celle de la Californie, là de l’Arizona, des Etats-Unis, de la légion étrangère, de l’aviation, puis enfin de l’Humanité toute entière » explique-t-il en se promenant parmi les blocs. « C’est un travail avant tout pédagogique qui je l’espère pourra notamment intéresser les enfants ».
Une somme d’informations considérable qu’a minutieusement rassemblé puis synthétisé le maire de la ville, avant de faire graver et illustrer les textes par un artiste. De la nuit étoilée de Vincent Van Gogh à l’élection de Barack Obama, en passant par les premiers alphabets, l’histoire des langues et l’organisation du système solaire… aucun sujet n’échappe à la curiosité de Jacques-André Istel qui a passé de nombreuses heures le nez plongé dans les livres, aidé de sa femme. « Il m’est même arrivé de voyager jusqu’en Inde pour tenter de récupérer une traduction » raconte-t-il. Pour l’un des panneaux consacrés à la médecine, il a consulté l’urologue et député français Bernard Debré, auquel il est apparenté.
Vue du ciel, la juxtaposition des différents monuments fait penser à ces mystérieux dessins tracés par certaines civilisations pré-colombiennes. « Il y a une logique derrière cela » explique Felicia Istel. « Ici, cette statue du bras de Dieu inspirée par la peinture de Michel-Ange (utilisé comme cadran solaire) pointe vers l’Eglise, c’est-à-dire vers Dieu et traverse Felicity en une ligne droite».
Sur sa trajectoire, les Istel ont également fait construire une pyramide qui abrite ce qu’ils appellent « le centre officiel du monde ». Pour le faire reconnaître par le comté, Istel a d’abord fait publier à compte d’auteur un livre pour enfants racontant l’histoire d’un dragon qui découvre le centre du monde, dans un lieu désertique nommé… Felicity.
« L’existence du livre a donné plus de poids à ma requête ! En 1985, le Board of Supervisors du comté Imperial, où je vis, l’a approuvée. Suivi, en 1989, de l’Institut National Géographique » affirme-t-il fièrement. Un lieu fascinant, hors du temps et de la réalité, qui en vaut, à coup sûr, le détour.