Faites le test. Regardez les ingrédients qui figurent sur un paquet de pâtes acheté en France : farine de blé, eau, sel, parfois de l’oeuf. Point barre. Maintenant, faites la même expérience aux Etats-Unis. Vous y trouverez, en plus des ingrédients cités plus haut, de la niacine, du fer, du mononitrate de thiamine, de la riboflavine et de l’acide folique. De quoi prendre les jambes à son cou…
Ne paniquez pas : tout cela est une histoire de farine, et c’est pour votre bien. Il s’agit d’une mesure de santé publique, visant à apporter des nutriments supplémentaires dans les produits de consommation courante et prévenir certaines carences et maladies.
Lutte contre les maladies
Aux Etats-Unis, la FDA (Food and Drug Administration) recommande à tous les producteurs et utilisateurs de farine de blé (et de maïs) de l’enrichir avec ces cinq additifs, dans des quantités déterminées. C’est pourquoi ces ingrédients se retrouvent dans la farine vendue en supermarché, et dans tous les produits qui en contiennent comme les pâtes, les gâteaux, les pains… A quelques exceptions près (certaines farines blanches bio, et les farines whole wheat).
La thiamine est aussi connue sous le nom de vitamine B1. La riboflavine est la vitamine B2. La niacine est un élément de la vitamine B3. L’acide folique correspond à la vitamine B9, et permet d’éviter certaines malformations des fœtus (anomalies de fermeture du tube neural). Le fer permet d’éviter les situations d’anémie.
De plus en plus d’ “enrichissement”
Tout cela ne date pas d’hier. La première réglementation en la matière remonte à 1943 : des études avaient été menées pour comprendre pourquoi nombre de soldats étaient en mauvaise santé, et ont montré que beaucoup d’Américains avaient des carences en vitamines, cause de diverses maladies. Depuis cette époque, la farine blanche est systématiquement “enrichie”. La dernière réglementation en la matière, qui a pris effet le 1er janvier 1998, impose l’ajout d’acide folique dans toutes les farines.
Les Etats-Unis sont loin d’être le seul pays à agir de la sorte. L’OMS et l’UNICEF recommandent la fortification (synonyme d’enrichissement) de la farine. Au total, 82 pays (en particulier en Amérique du Nord et du Sud, mais aussi en Afrique et en Asie) ont mis en place de tels programmes pour la farine de blé, soit de manière obligatoire, soit de manière fortement recommandée. “Et cela augmente d’année en année. En 2002, il y n’y avait que 44 pays”, affirme Robert Baldwin, l’un des experts rattachés à la Food Fortification Initiative, lancée cette année là.
Le sel aussi
Est-ce efficace ? Un rapport de l’OMS sur la farine enrichie cite une étude ayant établi une baisse de 26% de la fréquence des naissances présentant des anomalies du tube neural après la mise en place de réglementations nationales sur l’ajout d’acide folique dans la farine. Dans les pays développés, l’enrichissement de la farine aurait aussi des effets bénéfiques pour éviter les situations de fatigue, déconcentration, faiblesse, associées au manque de fer.
La farine n’est pas le seul aliment à bénéficier d’une politique fédérale d’enrichissement. C’est aussi, comme en France ou aux Etats-Unis, le cas du sel, enrichi depuis les années 20 en iode afin de prévenir certaines maladies comme les goitres. La mesure a été d’une redoutable efficacité. Le lait américain est quant à lui supplémenté en vitamine D depuis les années 30.
La France n’y croit pas
En France, la fortification n’a jamais pris. En 2002, l’Afssa et l’Institut de veille sanitaire ont remis au Ministre de la Santé un rapport recommandant l’enrichissement de la farine, et mettant en lumière les bénéfices sur la santé publique, en particulier pour ce qui concerne l’acide folique. Il est resté lettre morte.
“En France, la farine, comme le pain, sont sacrés, et les Français en sont très fiers, analyse Robert Baldwin. Je crois aussi que les Français se méfient des additifs en général. Et pourtant, les boulangers français mettent dans leurs pains des émulsifiants ou des conservateurs, mais les gens ne le savent pas toujours !”