À quelques blocs du Metropolitan Museum of Art, la galerie française Almine Rech, établie dans l’Upper East Side depuis 2016, présente les œuvres récentes du malgache Joël Andrianomearisoa. On peut découvrir dans un espace impeccable, à l’étage d’un immeuble, comme savent le concevoir les marchands d’art new-yorkais, une exposition où règne une sorte d’élégance immobile. Pourtant, ce que le natif d’Antananarivo tisse, noue, écrit, prend racine dans le tumulte de la vie. Il nous propose au travers de ses œuvres un échappatoire aux maux du monde, un « Miracle » comme l’annonce le titre de l’exposition. Il ajoute : « je cherche la justesse entre la certitude et l’incertitude »
Diplômé de l’École Spéciale d’Architecture de Paris, Andrianomearisoa est devenu un des artistes phares du continent africain. Sa carrière s’est rapidement développée à l’international. Ses œuvres font partie des collections du Studio Museum à Harlem et du Centre Pompidou à Paris et il a représenté Madagascar, en 2019, à la Biennale de Venise. Il est aussi très actif pour le déploiement de l’art contemporain dans son île de naissance où il a crée, avec le philanthrope Hasnaine Yavarhoussen, Hakanto Contemporary, un espace indépendant, qui aide au dialogue entre les artistes locaux et le monde de l’art.
Joël Andrianomearisoa © Nicolas Brasseur
Pour parachever son parcours, l’exposition à la galerie Almine Rech vient célébrer son entrée dans les collections du Metropolitan Museum. Trois de ses œuvres y siègent dorénavant. L’une d’elles, « Les herbes folles du vieux logis », sera exposée à partir du vendredi 30 mai, dans l’aile Michael C. Rockefeller, fraîchement rénovée. Pour répondre aux avancées scientifiques sur l’étude de l’art des peuples d’Afrique subsaharienne, des îles du Pacifique, d’Amérique du nord, d’Amérique centrale et d’Amérique du sud, le Met a en effet décidé de rénover entièrement son aile dédiée aux apports des traditions artisanales séculaires. Le travail de Joël Andrianomearisoa, qui s’inscrit dans cette tradition et utilise les matériaux et les techniques malgaches, trouve évidemment sa place au sein de ce département.
L’exposition nous permet de nous familiariser avec l’artiste, et surtout avec son travail. Une première salle expose des toiles récentes, mais en droite lignée avec son travail plus ancien, à l’image de l’œuvre achetée par le Metropolitan. Des bandes verticales de tissus noir sont cousues avec des bandes de raphia tissé. Leur agencement, la succession d’un grain épais et d’une fibre presque transparente, le rythme d’une couleur de blé vibrant sur le textile sourd, tout ici vient de la main et touche l’âme. Il y a une poésie qui se dégage de ces grands tableaux abstraits. On regarde la matière, on guette la façon. On se demande quel geste le faiseur a réalisé pour concevoir ce tableau. Puis on s’évade, on oublie la main, on se laisse porter par la sensation et l’émotion. Il s’en dégage une sorte de cartographie de l’immatériel.
Plus loin, l’artiste nous ramène à sa terre natale avec le raphia cette « fibre miraculeuse » comme il l’a décrit. Il fait référence au matériau malgache qui, avant d’être tissé en objet sophistiqué pour un magasin de design ou pour la décoration d’un bar à la mode est tout simplement une matière « simple, patrimoniale, identitaire ». L’artiste nous fait passer par une sorte de couloir où cinq cent fils de raphia brut pendent dans une mise en scène braudelienne que l’artiste rapproche de l’Arte povera, et précisément de l’artiste greco-italien Jannis Kounellis (1936-2017). Et en effet, on y voit un écho à l’exposition que ce dernier a réalisé, en 1969. Il exposait alors des sacs en toile de jute emplis de denrées alimentaires, qui faisaient œuvre tout en magnifiant la simplicité des matières premières méditerranéennes.
La filiation s’arrête ici car, passé le couloir, nous entrons dans le temple de la sophistication délicate. Les oeuvres de cette dernière salle marquent un tournant dans le travail d’Andrianomearisoa. Le raphia a été tressé, structuré, brodé avec finesse pour représenter des végétaux ou des textes. Une brassée de fleurs est déposée sur un socle. Une tige et sa fleur, tête à l’envers, sont accrochées dans la fibre de la toile d’un châssis. Le travail de la matière, ton sur ton, est ici très raffiné. Andrianomearisoa a initié ici une collaboration avec des artisans malgaches, spécialistes du tressage du raphia, qui apportent leur savoir-faire mais aussi leur invention, en détournant les dessins qu’il leur propose. Cette coopération est vitale pour l’artiste, pour lequel : « sans l’autre, il n’y a pas de miracle ». De cette œuvre collective naît donc un « miracle », un miracle laborieux où chacun affronte la difficulté technique, la difficulté d’écriture. Avec ces oeuvres, l’artiste a répondu a une urgence intérieure, la volonté de rendre à l’ouvrage ses lettres de noblesse. Il semble inquiet « est-ce trop beau, trop artisanal ? » En quête de justesse, il semble hésiter entre la certitude et l’incertitude.
Joël Andrianomearisoa « Miracle Act III » et « Miracle Act V », Almine Rech New York, Upper East Side © Dan Bradica – Joël Andrianomearisoa – Courtesy of the Artist and Almine Rech
« Joël Andrianomearisoa : Miracle », Galerie Almine Rech, 39 East 78th Street, Floor 2. Jusqu’au samedi 19 avril.
Et aussi :
À Milan : « Joël Andrianomearisoa : Tokotany », Galerie Primo Marella, Via Valtellina, 31. Du jeudi 27 mars au samedi 17 mai.
À Antananarivo, Madagascar : « Joël Andrianomearisoa : Please sing me my song before you go », Hakanto Contemporary I, Ankadimbahoaka, Antananarivo 101. Du dimanche 13 avril au dimanche 18 mai.