Un bouquet de fruits rouges. Des fraises des bois en corail et leurs feuilles de néphrite retombent délicatement au dessus de leur pot. Tellement vraies qu’il suffirait d’approcher la main pour les détacher de leur tige. Cette merveille d’orfèvrerie est signée André Chervin, joaillier français connu dans le monde entier pour ses bijoux vendus par Tiffany, Van Cleef & Arpels, Cartier et autres grandes maisons. Mais son atelier à Manhattan n’a pas produit que des broches, bagues et colliers d’exception. Il y a aussi des lampes, horloges et figurines que la New York Historical Society présente à travers l’exposition Enchanting Imagination: The Objets d’Art of André Chervin and Carvin French Jewelers. Une cinquantaine de pièces uniques jamais révélées au public.
« Ces objets sont issus de collections privées et n’avaient jamais quitté les appartements de leurs propriétaires », explique Debra Schmidt Bach, conservatrice des arts décoratifs. Rassemblés dans une seule salle du musée, « chacun mérite que l’on s’y attarde ». Certaines pièces, les bijoux, étaient des commandes de bijoutiers de renom, comme la broche Stuart Little en or, platine, émail et diamants représentant une souris en habit de marin, réalisée pour Tiffany; d’autres des commandes privées de clients fortunés. D’autres encore, le plus étonnant, des objets fabriqués par André Chervin au gré de ses envies et qui n’ont jamais été vendus. « Il était fasciné par les matériaux », souligne, à voix feutrée, Debra Schmidt Bach.
Quand André Chervin entend parler d’un morceau de Chrysoprase (pierre de couleur vert pomme) venue d’une mine australienne, d’une taille et d’une pureté rarissimes, il l’acquière. Il prend le temps d’en sortir l’objet le plus adéquat et raffiné. Ce sera une pendulette – jeune, André Chervin voulait être horloger – à la forme boucle peu commune. L’une des pièces maitresse de l’exposition est une lampe de boudoir, Frogs’ Rubies (Rubies des Grenouilles), dont l’abat-jour est composé de 86 rubis. Sans les contraintes imposées par les commandes des clients, André Chervin a laissé cours à sa créativité « Ce sont mes propres expressions. C’est mon art, pur et simple. C’est ma véritable liberté », a confié le joaillier, aujourd’hui âgé de 96 ans, pour l’exposition L’amour du travail la matière.
Issu d’une longue lignée de joailliers français, André Chervin est né à Paris en 1927. Après ses études, il immigra à New York en 1951, « à une époque où le savoir faire français était particulièrement recherché, précise Debra Schmidt Bach. De nombreuses manufactures de bijoux recherchaient des artisans formés à Paris. » Notamment les émailleurs – le travail des émaux était rare à l’époque aux États-Unis. Il y prend un poste de joaillier d’établi pour l’orfèvre Louis Feron, d’origine française lui aussi. Il y rencontre un autre compatriote, joaillier comme lui, Serge Carponcy. À eux deux, ils rassemblent 2000 dollars pour ouvrir leur propre atelier, Carvin French, Midtown à Manhattan – Carvin étant l’association des trois premières lettres de Carponcy et les trois dernières lettres de Chervin.
En six décennies, Carvin French est devenu l’un des créateurs de bijoux fait-main les plus connus au monde. Au savoir-faire exceptionnel se marie un humour inattendu : telle Lady Ostrich, à la fois broche et objet de décoration, une autruche en perles roses arborant fièrement un minuscule nœud papillon pour une soirée à Broadway; une lampe composée d’un petit chien au regard inquiet tourné vers son vieux maître au pied d’un lampadaire. Il faut regarder de près pour comprendre le tourment de l’animal : sa laisse, minuscule filet d’or, est rompue. « Chaque pièce est unique et a une histoire », s’amuse la conservatrice, qui recommande de prendre l’audio tour à l’entrée de l’exposition – il permet d’apprendre tous les secrets, comme la localisation des interrupteurs des lampes – bien souvent insoupçonnable !
En 1983, Serge Carponcy prend sa retraite, laissant André Chervin seul à la tête de l’atelier. Plusieurs membres de la famille Chervin ont rejoint depuis Carvin French et perpétuent le savoir-faire de leurs ancêtres, en toute discrétion : Carvin French a été surnommé « le joaillier des joailliers ». Enchanting Imagination: The Objets d’Art of André Chervin and Carvin French Jewelers à la New York Historical Society du 8 septembre 2023 au 17 mars 2024. « Préparez-vous à être éblouis », prévient Debra Schmidt Bach. Et à être surpris, toutes les heures, à l’heure pile… (on ne révèle rien).
Enchanting Imagination: The Objets d’Art of André Chervin and Carvin French Jewelers à la New-York Historical Society, 170 Central Park West (77th Street). Du 8 septembre 2023 au 17 mars 2024. Ouvert tous les jours de 11am à 5pm, jusqu’à 8pm le vendredi. Fermé le lundi. Billets ici.