« On lit aussi avec le corps », sourit l’auteur et membre de l’Académie française Dany Laferrière. L’écrivain est à New York pour l’exposition « Un cœur nomade » qui retrace ses 35 ans de vie et d’écriture.
Écrit et illustré à la main : l’enfance dans l’art
C’est une invitation au voyage, une exposition composée de grands panneaux couverts des œuvres autobiographiques de Dany Laferrière, manuscrites et illustrées de sa main. Le visiteur lit en effet avec son corps : il marche dans un livre. Il parcourt en musique l’univers joyeux et l’histoire singulière de l’écrivain canado-haïtien. Les mots espiègles et les couleurs racontent une enfance heureuse à Haïti en dépit de la dictature Duvalier, son exil précipité vers Montréal où il est devenu écrivain, un passage par Miami, et enfin Paris où l’Académie française l’a rendu immortel.
Ses dessins naïfs, minutieux, évoquent avec douceur et parfois même humour le sujet de l’exil. Ils sont un nouveau genre littéraire qui souligne la liberté de l’écrivain et son amour pour l’enfance. « Je dessine comme les enfants, explique-t-il, j’ai appris en les regardant faire dans les aéroports. La main est en danger avec la technologie et je trouve magnifique de savoir faire les choses à la main. Écrire, c’est dessiner. La lettre A est un dessin avant tout. »
Pas de nostalgie donc chez Dany Laferrière, mais un respect infini pour la sagesse, l’intuition et la créativité des enfants, souvent perdue ensuite : « On a fixé le lecteur comme quelqu’un de calme et tranquille. Les enfants ne font pas ça. Ils lisent beaucoup avec le reste du corps qui s’ennuie autrement, car ils ne vivent pas seulement dans leur tête. Les enfants sont maîtres en toute choses qui a trait au langage donc je me suis inspiré d’eux. »
Un « chez soi » après l’exil ?
Le lecteur de ces lignes est probablement un expatrié, quelqu’un pour qui la notion de « chez soi » est complexe, et celle de « voyage » paradoxale. L’expatriation est souvent choisie, mais l’exil non. Pourtant, l’exil a du bon, il « vaut le voyage », pour reprendre le titre de l’un des romans graphiques de Dany Laferrière qui inspire cette exposition.
Il a fui une dictature, lui et ses livres ont voyagé partout et il a posé ses valises, et son cœur nomade, de part et d’autre d’un océan. Lorsqu’on l’interroge sur son rapport au « chez soi », « home sweet home », Dany Laferrière répond qu’il n’a jamais voulu être « chez lui », et que c’est là tout le sujet : « Je suis chez moi avec moi. Je peux puiser dans mes souvenirs au fur et à mesure, par accumulation je créé un espace où je me tiens ». Il n’est pas propriétaire, il loue. Il passe.
Pour se sentir chez lui, Dany Laferrière n’a besoin que de ce qui est déjà là : « Tout est donné. Il suffit de ne pas vouloir que les choses soient à vous pour que tout soit prêt à s’offrir à vous. Les saisons, les autres, le parc. Si je possédais le parc dans lequel nous sommes, je devrais le surveiller, l’entretenir alors que là, il est à moi, ou je suis à lui. » Une philosophie du bonheur et de la liberté à crier sur tous les toits.
Une invitation à voyager autrement
Lui qui a voyagé partout il ne conçoit pas que le déplacement d’un endroit à un autre soit la seule manière de découvrir le monde. « Nous voyageons dans le temps, d’où notre gout pour la lecture. Nous voyageons sans cesse, en regardant. » Il cite un proverbe Haïtien, « Partir ne veux pas dire que vous êtes arrivés » et ajoute : « C’est nous qui avons inventé ce mythe de l’aventurier, du héros toujours en mouvement comme si c’était nécessaire. Si vous vous déplacez avec l’idée de voir des choses insolites c’est que vous n’avez pas regardé ce qu’il y autour de vous. L’idée d’apprendre par le voyage est une idée fausse. On apprend parce qu’on est passionné, ardant, curieux. Parce qu’on veut découvrir toutes sortes de mondes. »
Quant à New York, et ce que représente pour lui la ville de naissance de sa fille ainée, ville d’exilés, d’immigrants, d’expatriés et de nomades en tous genres, il concède que c’est un symbole de grandeur a l’imaginaire puissant. Néanmoins lui y voit quelque chose de plus subtil : « New York est secrète. On s’en fait depuis l’étranger une idée immense qui occupe l’imaginaire. Mais il y a beaucoup de choses toutes petites à New-York, pas seulement des grands signes. C’est plein de petits villages secrets et c’est ça qui étonne les gens. Un immense gâteau, mais plein de passages dérobés. »
Un autre passage dérobé sans doute, l’exposition Un Cœur Nomade offre une immersion dans l’univers tendre et riche de Dany Laferrière, et une réflexion bienvenue sur le voyage, la patrie, l’appartenance, et la liberté.