En 1873, Levi Strauss, à la tête d’une société de textile et de quincaillerie à San Francisco, s’associe à Jacob Davis, un tailleur d’origine lituanienne de Reno dans le Nevada, pour déposer le brevet du premier pantalon d’homme à rivets: le premier “jean”, le Levi’s 501, est né. Près de 150 ans plus tard, le succès de la marque ne se dément pas. Au delà de l’objet en denim, le Contemporary Jewish Museum de San Francisco retrace l’épopée de la marque, en soulignant sa capacité à se réinventer et à transcender les modes et les époques.
Tout commence en Bavière, à Buttenheim: le 26 février 1829 naît Löb Strauss, qui prendra par la suite le nom de Levi Strauss. Orphelin de père à 17 ans, il part avec sa mère et sa soeur pour l’Amérique, afin de fuir les persécutions dont les Juifs font l’objet. Il s’établit d’abord à New York, puis la ruée vers l’or le pousse à déménager à San Francisco, où il fait fortune, non pas en se joignant aux chercheurs de pépites, mais en fondant une entreprise qui fournit tous les objets du quotidien qu’utilisent ces derniers, en particulier le textile. Levi Strauss s’installe d’abord sur Battery et Pine, puis déménage après le tremblement de terre de 1906 sur Valencia street, où sa manufacture compte près de 1500 machines à coudre. La première salle d’exposition retrace le début de Levi’s, et permet d’admirer salopettes et jeans datant des années 1900 et encore très bien conservés.
On assiste ensuite à plusieurs transformations successives de la marque, dictées par plusieurs événements historiques, à commencer par la mort de son fondateur en 1902. Après la fin de la ruée vers l’or, Levi’s joue sur la mythologie du Far West et des cowboys. Ces derniers portent d’ailleurs volontiers les jeans de la marque, et les femmes s’y mettent avec le lancement d’un jean leur étant destiné en 1934.
Le 501 continue à séduire par sa résistance aux tâches les plus ardues: un jean ayant servi à remorquer une voiture, faute d’équipement adéquat, a d’ailleurs valu une lettre d’éloge dithyrambique de la part de son propriétaire à son fabricant.
Le jean Levi’s devient un incontournable de la culture populaire. Dans L’équipée sauvage en 1953, Marlon Brandon popularise l’image du rebel en Levi’s, Marylin Monroe le porte ultra moulant dans “Les Désaxés”. La marque lance le patte d’eph’ en 1969, symbole du mouvement hippie, puis les rappeurs s’approprient des formes plus amples dans les années 1980; les costumes ayant servi dans le film Straight outta Compton, qui raconte l’ascension de Dr Dre, Ice-Cube et Eazy-E des quartiers pauvres de Los Angeles à la renommée internationale.
L’exposition souligne également l’action philanthropique de Levis’: dès 1897, son fondateur crée des bourses d’études pour des étudiants souhaitant entrer à l’université de Berkeley; dans les années 1980, Levi’s est l’une des premières entreprises américaines à apporter publiquement son soutien à la communauté LGBTQ, durement touchée par l’épidémie de SIDA, en faisant d’importants dons à la première clinique spécialisée dans cette maladie, fondée en 1983 à San Francisco.
Le clou de l’exposition est sans doute la profusion de vêtements Levi’s portés par des stars, et rassemblés pour la première fois au Contemporary Jewish Museum. Steve Jobs portait toujours le même uniforme: un col roulé noir Issey Miyake, des baskets New Balance, et un 501 bleu. Andy Warhol a sérigraphié son jean préféré, et avait déclaré qu’il souhaitait le porter lorsqu’il mourrait.
Aux MTV Videos Music Awards de 2001, c’est un 518 Superlow bootcut qu’arborait Beyoncé, tandis que Madonna portait un short en jean et des collants résille lors de son Girlie Show Tour de 1993. Albert Einstein, lui, se séparait rarement de son blouson Levi’s Cossack en cuir: il date des années 1930, et reste étonnamment contemporain.
“Levi Strauss, an history of American Style” permet de découvrir, à travers plus de 250 objets, la riche histoire d’une marque locale qui a su devenir une icône mondiale. Pour l’anecdote, Levi Strauss, lui, n’a jamais porté de 501, une création que le riche marchand avait imaginé pour la classe ouvrière de l’époque. Le Juif émigré à 17 ans était sans doute loin d’imaginer que sa marque serait portée par les plus grands.